Un cadeau au Medef en contrebande
Alors que Nicolas Sarkozy clame qu’il faut réguler le capitalisme, le ministère des Finances a rédigé avec le Medef une charte des contrôles douaniers destinée à faciliter les transactions des multinationales.
dans l’hebdo N° 1047 Acheter ce numéro
Mardi 31 mars, devant les entrées du ministère des Finances, à Bercy, un tract syndical était distribué alors que la presse était invitée par Éric Woerth, ministre du Budget, à la présentation des résultats 2008 de la douane et de sa lutte contre la fraude. Solidaires-Douanes y décrit non sans humour une situation surprenante : « Les films du désastre présentent : Au service de tous, mais un peu plus de certains, une coproduction Bercy-Medef, avec Éric Woerth et Laurence Parisot. » Ce jour-là, la présence exceptionnelle de la patronne du Medef pour la signature d’une nouvelle « charte des contrôles douaniers » avait en effet des allures de film surréaliste puisqu’il s’agit d’officialiser un document limitant l’efficacité des contrôles douaniers. Le mélange des genres ne choque pas le ministre qui, en personne, explique que « le Medef a été étroitement associé à l’élaboration de cette charte » . Et ajoute qu’elle est un témoignage « de la volonté de promouvoir des relations empreintes de respect et de connaissance mutuelle entre l’administration et les entreprises ».
« Pendant qu’il signe à l’extérieur des accords de coopération avec différents paradis fiscaux, Éric Woerth déterre un projet que l’on croyait naïvement rangé au rayon des inepties » , s’étonnent les syndicalistes. Car, tandis que le chef de l’État défend un besoin urgent de régulation du capitalisme au G20, la représentante des grandes entreprises se félicite qu’une charte établisse « une relation de confiance » entre contrôleur et contrôlé, selon les mots du directeur général des douanes, Jérôme Fournel. « Ce sujet de fond est beaucoup plus important que quelques autres événements qui dominent les médias » , ajoute Laurence Parisot, dans une allusion au débat sur la rémunération des patrons.
Pourquoi cette anodine charte présente-elle tant d’intérêt pour les grandes entreprises ? Le document d’une trentaine de pages « introduit un certain nombre d’obligations nouvelles, toujours au détriment de l’administration, bref il crée un droit nouveau sans aucun fondement légal » , s’étonne le syndicat Solidaires-Douanes. La charte devrait être publiée par la voie du bulletin officiel des douanes, « ce qui la rendrait opposable à l’administration » et confère au texte un pouvoir juridique.
Dans quel but ? Le Medef n’a jamais caché vouloir la peau des pouvoirs de contrôle des douanes sur les échanges et les marchandises, « pouvant, il est vrai, troubler quelques douteuses transactions commerciales et financières » souligne le syndicat.
Le texte introduit ainsi la notion « d’acceptabilité » des contrôles douaniers et rappelle que, « lorsqu’une administration estime qu’une déclaration est incomplète ou inexacte, il lui appartient de le démontrer ». De plus, le recours hiérarchique avant une notification est une « disposition [qui] n’existe pas dans le code des douanes et est pour le moins malsaine », commente Philippe Bock, cosecrétaire général de Solidaires-Douanes. Celui-ci a décelé d’autres nouveautés, comme l’obligation de rédiger un acte à chaque intervention, ce qui fait de la charte un document sur mesure pour les avocats tatillons.
L’intérêt du Medef pour un document modifiant les relations avec les douaniers remonte à 2007, mais « comme la direction des douanes n’allait pas assez vite, ni assez loin, le syndicat patronal a tout simplement pris la main (ou la plume) au ministère » , explique Solidaires-Douanes. En décembre 2007, la direction générale des douanes avait produit un « mémento des contrôles douaniers » , au motif que « plusieurs organisations de professionnels du commerce extérieur milit[ai]ent depuis plusieurs années en faveur de la création d’une charte de l’entreprise contrôlée par l’administration des douanes » . Leurs vœux sont désormais exaucés.