Une précarisation massive
C’est une pierre de l’édifice, et non la moindre. On appelle ça la « masterisation ». Il s’agit de créer une vaste catégorie de vacataires et de profs « hard discount ».
dans l’hebdo N° 1050 Acheter ce numéro
Depuis longtemps, on s’indignait de la baisse régulière du nombre de postes aux concours d’enseignement, si bien que leur officialisation était chaque année différée au printemps, sans doute pour ne pas plonger dans des abîmes de mélancolie les candidats en cours de préparation… Nous n’avions encore rien vu du processus de fragilisation de la formation des enseignants. Le projet de « masterisation » – dont les sonorités anglo-saxonnes annoncent bien malheureusement la couleur libérale – présenté par Xavier Darcos en octobre 2008 offre une solution plus radicale pour faire des économies de fonctionnaires et de culture (oui, des économies de culture !) que ces réductions cyniques d’admissions aux concours. Il s’agit de coupler l’année de préparation au concours du Capes avec un diplôme de master qui, à défaut d’entraîner ses candidats à la recherche universitaire, sera consacré à des cours de didactique, reflétant bien notre soif de savoir-faire dépourvu de tout contenu disciplinaire. L’argument du gouvernement consiste à dire que les professeurs certifiés bénéficieront d’une année supplémentaire d’enseignement et seront recrutés à bac + 5 au lieu de bac + 4. C’est passer sous silence la suppression de l’année de stage qui suivait la réussite au concours, réduite à six mois non rémunérés, censés remplacer par là même la formation en IUFM. C’est aussi passer sous silence l’absence de tout contenu intellectuel dans ces masters professionnels d’enseignement, qui seront effectués au détriment des masters de recherche et entre deux concours blancs pour le Capes ou l’agrégation.
En outre, les concours sont eux-mêmes transformés. Désormais, l’oral du Capes portera sur la capacité des candidats à enseigner – ce qu’ils n’auront alors jamais eu l’occasion de faire – ainsi que sur la connaissance du système éducatif français – celui que nous souhaitons ne jamais connaître. Une idée de ce système ? Un candidat au Capes d’anglais n’aura, par exemple, jamais à prononcer la moindre phrase en anglais devant un jury qualifié. Et pour cause, puisque ce dernier sera essentiellement constitué par la hiérarchie administrative. Mais le meilleur reste à venir : qu’adviendra-t-il des candidats qui réussiront l’examen du master mais échoueront au concours ? Ces « reçus collés » viendront sans doute s’ajouter à la liste des vacataires et des précaires de l’enseignement, engagés dix mois par an ou sur deux cents heures, privés de chômage, de congés payés, et pour qui le statut d’intermittent du spectacle est un luxe réservé aux autres.
Ces précaires existent déjà, mais il est certain qu’une fois institutionnalisé et officialisé, ce phénomène s’amplifiera. Il suffit de jeter un coup d’œil en Italie, où les directeurs de lycées piochent directement dans les listes d’attentes « permanentes » des collés aux concours. Le Capes et l’Agrégation, devenus de plus en plus inaccessibles, ne seront guère plus que des appâts faisant saliver les jeunes candidats, qui constitueront au final du prof hard discount pour lycées réformés. Le plus grave dans cette affaire, au-delà des échecs personnels et des injustices réservées aux candidats à l’enseignement, est encore les conséquences que cette fragilisation aura sur le contenu et la qualité des enseignements dispensés du primaire à la fac. Les élèves auront face à eux des professeurs peu formés, méprisés par leur hiérarchie, sous-payés, abandonnés par l’État. Vaste programme pour une société ambitieuse !