8 mai : ne pas oublier Sétif

Le jour marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale est aussi celui où l’État français a réprimé dans le sang l’une des premières manifestations pacifiques pour l’Algérie libre. Un passé toujours occulté.

Olivier Le Cour Grandmaison  • 14 mai 2009
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8 mai 2009. La France célèbre, comme il se doit, la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe.
8 mai 2009. L’Algérie commémore le soixante-quatrième anniversaire des massacres de Sétif et de Guelma perpétrés par l’armée française et de nombreuses milices coloniales composées de civils d’origine européenne. Bilan : Entre 20 000 et 30 000 victimes arrêtées, torturées et exécutées sommairement pour rétablir l’ordre imposé par la métropole et terroriser de façon durable les populations « indigènes ». Une seule et même date. Deux histoires diamétralement opposées en même temps que liées l’une à l’autre ; pour recouvrer son autorité en Europe et dans le monde, la France libre est prête à tout pour défendre l’intégrité de son empire. Ainsi fut fait. En métropole donc et pour les colons des différents territoires d’outre-mer, la joie de la paix, de la liberté et de la démocratie retrouvées. Pour les « musulmans », l’horreur, le sang et les larmes provoquées par le déchaînement de la violence d’État destinée à perpétuer l’oppression et l’exploitation coloniales.

De quoi étaient donc « coupables » les « indigènes » ? D’avoir osé manifester pacifiquement, en ce mardi 8 mai 1945, dans la rue principale de Sétif, pour exiger la libération de Messali Hadj, défendre « l’Algérie libre » pour laquelle ils ont conçu un nouveau drapeau, symbole de leur lutte pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et pour l’indépendance. C’est à cela que s’oppose la France afin de perpétuer sa domination imposée depuis cent quinze ans. Monarchique d’abord, républicaine ensuite, impériale après, et de nouveau républicaine après la chute de Napoléon III, la métropole a longtemps soumis, comme l’écrivait Ferrat Abbas, les « Arabes » au régime du « talon de fer » et du « mépris » , au Code de l’indigénat, voté par la Chambre des députés le 28 juin 1881, aux tribunaux répressifs, à l’internement administratif et aux amendes collectives. Celles-là mêmes qui, massivement appliquées pour sanctionner les tribus kabyles soulevées en 1871, avaient précipité leur ruine pour de longues années. Sans oublier les nombreux massacres commis par l’armée d’Afrique pour conquérir l’Algérie, la « pacifier » comme on disait déjà au XIXe siècle, et rétablir l’ordre colonial lorsque celui-ci était contesté par les « indigènes. » Jusqu’en 1945, ces derniers n’étaient que des « sujets français », des assujettis en fait comme en droit, privés des libertés démocratiques élémentaires. À cela s’ajoutent de nombreuses dispositions discriminatoires et racistes qui ne pesaient que sur eux.

Telle était donc la situation de ces « populations » comme on disait alors. C’est contre cet ordre pour eux dictatorial, injuste et inégalitaire que manifestent donc ceux qui se rassemblent à Sétif ce 8 mai 1945 puis le soir même à Guelma. On connaît la suite : le déchaînement de la violence et de la terreur d’État avec son cortège de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Oubliés les principes qui, quelques semaines plus tard, allaient être au fondement de l’article 1er de la Charte des Nations unies, adoptée le 26 juin 1945, établissant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Oubliés aussi les engagements, contractés dans la Résistance, puis inscrits dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui affirme : la France, « écartant tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire » , garantit à « tous […] l’exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés » dans le présent texte. Oubliés enfin les fondements philosophiques, politiques et juridiques, plus tard sanctionnés par la Déclaration universelle des droits de l’homme, votée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris, et son article 2 relatif aux droits dont « chacun peut se prévaloir » sans « distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion et d’opinion politique ».

Dans les colonies de la France républicaine, ces principes ne s’appliquent pas. Étrange conception de l’universel qui n’a d’universel que le nom puisque les prérogatives mentionnées ne valent ni pour tous les hommes, ni pour tous les lieux, ni pour tous les temps. Les massacres de Sétif et de Guelma en témoignent sinistrement : une fois encore, la force a primé les droits, aussi fondamentaux soient-ils, dès que le visage de l’Autre épouse les traits du « musulman » ici, du « Noir » ailleurs et de « l’Indochinois » bientôt. Une fois encore, en ce mois de mai 2009, ce passé n’a toujours pas droit de cité, ni dans les discours des plus hauts responsables de l’État, ni dans la plupart des grands médias français. Mépris, silence, oubli. Pour combien de temps encore ?

*Dernier ouvrage paru : La République impériale : politique et racisme d’État, Fayard, 2009.
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