Europe et démocratie
Les dirigeants européens entretiennent une défiance de classe envers le peuple. Il est légitime de s’interroger sur le caractère démocratique de la construction européenne. Avec le corset des traités, l’alternative n’est déjà plus qu’entre plus ou moins de libéralisme.
dans l’hebdo N° 1053 Acheter ce numéro
Peut-on continuer à appeler démocratie une entité politique qui refuse de tenir compte de la volonté populaire, même exprimée dans un vote ? Pour des millions d’électeurs, la question n’a rien de théorique. Le bulletin « non » qu’ils ont glissé dans l’urne le 29 mai 2005 n’a servi à rien. Les Parlements français et néerlandais ont désavoué ce vote majoritaire en acceptant de ratifier le traité de Lisbonne, clone du traité rejeté. Et l’obligation, non écrite, de voter « oui » à tout nouveau traité se confirme avec l’injonction faite aux Irlandais de revoter à l’automne après le rejet du traité de Lisbonne. Les référendums bafoués ne nourrissent pas seulement l’abstention. Ils révèlent la méfiance de toujours des dirigeants européens pour le suffrage universel. Une défiance de classe envers le peuple, jugé ignorant et irrationnel, qui prend sa source dans la matrice originelle de la construction européenne et s’est perpétuée grâce à des institutions ad hoc.
« L’action menée au niveau européen permet d’éviter les pressions directes des cycles électoraux nationaux », se félicitait en 1999 Romano Prodi, président de la Commission européenne. De fait, en 2004, c’est un des grands battus des européennes, le Portugais José Manuel Barroso, que les chefs d’État et de gouvernement ont choisi pour lui succéder.
Afin d’éviter que l’idée européenne ne sombre définitivement, il est grand temps de rappeler qu’il n’est pas de démocratie sans principe de responsabilité politique : pour changer ses gouvernants lorsqu’il n’en est pas satisfait, le peuple doit déjà pouvoir savoir qui fait quoi, ce qui suppose des processus de décision transparents. Rappeler aussi que toute démocratie suppose la possibilité de choix politiques, ce qui devrait interdire que ceux-ci soient limités par des traités-carcans. Ce sont là les conditions minimales d’une Europe enfin démocratique. Sans doute l’enjeu majeur du 7 juin.
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