Inde : un résultat en trompe-l’œil

La victoire du Parti du Congrès aux dernières élections ne doit pas masquer la montée des communautarismes et des tensions interreligieuses. Tribune de Raphaël Tyszblat*.

Raphaël Tyszblat  • 28 mai 2009 abonné·es
Inde : un résultat en trompe-l’œil

Quelque 714 millions d’Indiens (15 % de plus que lors du scrutin précédent, en 2004) ont renouvelé l’équivalent de l’Assemblée nationale (Lok Sabha) pour la quinzième fois depuis l’indépendance, en 1948. Après avoir craint la montée des partis régionaux, de castes et de religions (des centaines dans tout le pays), la plupart des analystes ont salué, le 16 mai, la victoire du Parti du Congrès comme une victoire historique du sécularisme sur le communautarisme. Les résultats ont permis de renforcer la crédibilité du parti historique de l’indépendance. Le lundi ayant suivi l’annonce des résultats, la bourse de Delhi a dû clore en avance après avoir atteint un plafond record, signe de la confiance des investisseurs envers le Premier ministre sortant, Manmohan Singh, appelé à former un nouveau gouvernement. On pourrait croire que l’Inde est désormais devenue une démocratie « occidentale » à toute épreuve, quand la paix civile se juge aux indices boursiers.

Pourtant, la réalité n’est pas aussi simple. Le « calme » dans lequel se sont déroulées les cinq phases électorales est très relatif. Même si les médias ne l’ont que peu rapporté, la première phase, le 23 avril, a été marquée par le meurtre de 19 personnes (officiers de police et agents électoraux surtout) à travers le pays, surtout dans les régions à forte présence de « naxalites » (« marxistes » armés révolutionnaires nommés ainsi après les révoltes de fermiers à Naxalbari, village du Bengale occidental, en 1967), comme l’Orissa, le Bihar, le Jarkhand et le Maharastra. Et le fait même que les autorités aient instauré ce système en cinq phases, afin de permettre un déploiement optimal des forces de l’ordre dans tous les lieux de vote, en dit long sur la situation sécuritaire du pays.

Surtout, les violents échanges verbaux entre les principaux leaders politiques pendant la campagne ont montré que l’Inde n’avait d’Union que le nom. Ainsi, Varun Gandhi, membre de la fameuse dynastie Nehru et transfuge du Parti du Congrès ayant rejoint le Bharatiya Janata Party (BJP, Parti nationaliste hindou), a été condamné pour avoir tenu des propos infamants pour les non-hindous. Les castes et les religions ont donc largement été instrumentalisées par les candidats.

Le Parti du Congrès, parti historique de l’indépendance, qui, jusqu’aux années 1970, remportait régulièrement la majorité absolue à l’Assemblée, doit désormais composer avec des partis nationaux et locaux aux couleurs pour le moins composites. Il n’a en effet remporté que 206 sièges sur 543 à pourvoir. Le BJP, qui gouverne plus de cinq États d’Inde et qui a remporté les élections législatives dans dix États et territoires sur trente-cinq, reste une force montante et s’impose comme un parti avec lequel il faut compter, ce qui inquiète les défenseurs d’une Inde laïque et unie.
Enfin, certains élus du Parlement donnent une image assez particulière de l’éthique politique en Inde. Selon National Election Watch, une plateforme d’ONG indiennes promouvant des réformes électorales, un candidat sur dix a un casier judiciaire. Et sur les 543 membres du Parlement, 150 en ont un.
Les défis à relever sont nombreux pour la nouvelle coalition gouvernementale : misère, corruption structurelle concernant tous les échelons de l’administration, terrorisme islamique, essor de l’insurrection naxalite, inflation, récession, pénurie d’eau. Or, la politique de déréglementation économique, chère à Manmohan Singh, n’est pas forcément la panacée pour un pays affichant déjà des inégalités criantes. De même, l’alliance avec les États-Unis et Israël, contrastant avec la froideur des relations avec le voisin pakistanais, devrait être revue si l’Inde ne veut pas donner raison à ses « ennemis de l’intérieur ».
Les attentats de novembre à Bombay (que les Indiens eux-mêmes n’hésitent pas à appeler « 26/11 » en écho au « 9/11 ») ont marqué un tournant dans l’histoire de l’Inde. C’est la première fois que le pays a pu, pendant presque trois jours entiers, observer en direct l’accomplissement d’une poignée de jeunes terroristes dans les hôtels les plus prestigieux, symboles de la richesse du pays et de ses inégalités. C’est la première fois aussi qu’un site juif a été délibérément ciblé. Ce qui semble avoir entraîné l’Inde dans l’imbroglio infernal du « choc des civilisations ». Pour autant, ce ne sont pas les attentats de Bombay qui ont fait découvrir aux Indiens les capacités du terrorisme. Nombre de groupes et groupuscules extrémistes, musulmans et hindous sont apparus ces dernières années, sur le terreau de la misère et des inégalités.
L’escalade communautariste entre chrétiens et hindous dans un État comme l’Orissa a produit ces derniers mois des violences qui rappellent le Rwanda : maisons brûlées, personnes décapitées, transferts ethniques ont été les conséquences de tensions grandissantes entre deux communautés qui s’accusent mutuellement de vouloir anéantir l’autre. Et nombre de victimes ont reproché au gouvernement central d’avoir délaissé cette province, parmi les plus pauvres de l’Inde.
La grande désillusion provoquée par la sphère politique a au moins une conséquence positive. Les initiatives locales de démocratie participative fleurissent dans tout le pays, regroupant des citoyens motivés pour gérer leurs problèmes quotidiens.
Dans un pays où les « trous d’air » politiques sont parfois criants, la société civile a pris ses responsabilités. Une multitude d’associations travaillent à retisser les relations déchirées entre communautés.


* En poste à Bangalore depuis trois ans, Raphaël Tyszblat est membre de Meta-Culture (www.meta-culture.org), Centre pour la résolution des conflits et le dialogue, qui propose des plateformes et une méthode pour permettre aux différentes composantes de la société de dialoguer sur des sujets qui les touchent : terrorisme, éducation, évolution des valeurs, occidentalisation, gestion urbaine, etc. Cette organisation tente également d’initier un effort de réconciliation entre les différents groupes religieux du pays.

Monde
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