La prévention renvoyée de l’école
En dépit d’une trève dûe à la mobilisation du monde de l’éducation, la suppression des Réseaux d’aides spécialisées aux enfants en difficulté est bel et bien programmée.
dans l’hebdo N° 1053 Acheter ce numéro
Un semblant de trêve : c’est tout ce que la mobilisation du monde de l’éducation a obtenu face au démantèlement forcé des Réseaux d’aides spécialisées aux enfants en difficulté (Rased). En janvier, les 9 000 postes qui devaient être supprimés sur trois ans à partir de l’automne prochain ont été partiellement rétablis, mais ce recul ne freinera pas le ministre de l’Éducation nationale dans sa quête obsessionnelle d’économies. Sa stratégie est désormais de laisser mourir les Rased à petit feu. « Xavier Darcos l’a dit lui-même, déplore Armelle Michelet, institutrice à Champigny-sur-Marne, auparavant enseignante en Rased, toutes les mesures qui ont été prises sous couvert de réformer l’enseignement ne visent qu’un objectif : diminuer les dépenses publiques. C’est ce qu’il y a de plus monstrueux ! »
Créés en 1990 sur la base d’un dispositif initié quinze ans plus tôt, les Rased sont des réseaux d’enseignants et de psychologues qui accompagnent des élèves de maternelle et du primaire en difficulté scolaire ou comportementale. Ils tentent, avec une pédagogie individualisée, d’apporter à l’enfant les savoir-faire fondamentaux lui permettant de progresser dans sa scolarité. Grâce à des enseignants « rééducateurs » qui répondent aux problèmes d’indiscipline ou de rejet de l’apprentissage. Les séances de travail ont lieu sur le temps de cours, en dehors de la classe.
Une soupape qui permet de rompre un rythme scolaire étouffant pour les enfants en situation d’échec ou de mal-être. Un bienfait, aussi, pour les enseignants, qui n’ont parfois pas le temps de traiter les problèmes de leurs élèves avec l’attention nécessaire. « Les enseignants Rased ont un rôle important vis-à-vis des enseignants dit “ordinaires” car ils apportent un autre regard sur l’enfant en difficulté » , explique Armelle Michelet.
Apprendre en s’amusant, sortir un temps des programmes scolaires pour faire ses armes : la pédagogie des Rased est imaginative. C’est ce qui fait sa force. C’est paradoxalement ce qui fera sa mort. À l’heure du « socle commun de connaissance » qui définit, depuis 2004, les savoirs fondamentaux qu’un collégien doit maîtriser, la personnification de l’apprentissage n’est pas une priorité. À l’heure, surtout, du non-remplacement d’un poste de fonctionnaire sur deux, les 3 000 psychologues et 10 900 enseignants spécialisés des Rased sont un superflu que le ministère voudrait bien s’économiser.
À la rentrée 2008-2009, Xavier Darcos jetait donc un froid dans la profession en annonçant la suppression de 3 000 postes d’enseignants spécialisés par an. Soustraction faite, cela signifiait la fin pure et simple des Rased en quatre ans. Un sursis est arraché en janvier dernier quand Xavier Darcos, sous la pression de l’opinion, annonce l’abandon de la planification des suppressions de postes et rétablit 1 500 postes au budget 2009. Restent, pour la même année, 1 500 suppressions. Elles seront opérées sur des « postes vacants », c’est-à-dire les postes inoccupés en attendant d’être attribués aux enseignants formés. Ces suppressions désorganisent les Rased, et les listes d’attente s’allongent sur plusieurs mois pour répondre à toutes les demandes des familles. Et si les moyens sont tournés vers les écoles qui concentrent le plus de difficultés, on abandonne la prévention dans les secteurs moins affectés.
Il reste surtout qu’en supprimant les postes vacants, le ministre a coupé tout débouché pour les enseignants en formation pour opérer en Rased. « On a très nettement vu que les inspecteurs d’académie ne faisaient plus partir d’enseignants en formation puisque les postes libres étaient supprimés » , déplore Emmanuel Guichardaz, secrétaire national du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et des PEGC (SNUipp). Tandis que les formations se vident, les enseignants Rased en poste anticipent la fin du dispositif et demandent des mutations sur d’autres postes. De fait, les postes laissés vacants risquent, à leur tour, d’être supprimés. Au mieux, ils seront confiés à des enseignants qui n’ont pas suivi de formation spécifique.
Il est un autre élément qui justifie l’inquiétude des enseignants : la loi sur la semaine de 4 jours a créé deux heures d’aide personnalisée que chaque enseignant dispense obligatoirement, 6 semaines par an. Une mesure qui permettra, à l’avenir, de remplacer définitivement les Rased. Ces temps de soutien n’ont pourtant rien à voir avec l’aide personnalisée des Rased. Ils se tiennent en dehors du temps de classe, entre midi et 14 heures ou le samedi matin. Pour l’élève, c’est une surcharge de travail et parfois le sentiment d’être en punition. Comment, dans ces conditions, sortir des difficultés scolaires ?