Le dîner à Saint-Trop’
dans l’hebdo N° 1054 Acheter ce numéro
Philippe Courroye, procureur de la République de Nanterre (Hauts-de-Seine) a été convié l’été dernier, comme l’a révélé le Monde (17 mai), à [une petite sauterie] un raffiné dîner d’une vingtaine de convives, avec vue « sur la baie de Saint-Tropez » , qu’organisait François Pinault, et où se trouvaient aussi Jacques et Bernadette Chirac.
Or, amusantes coïncidences, dûment relevées par le Canard enchaîné (20 mai) : Philippe Courroye est justement l’homme qui, lorsqu’il était juge d’instruction, et alors même que sa hiérarchie « lui avait expressément demandé d’enquêter sur d’éventuels abus de biens sociaux et abus de pouvoir commis par Pinault, nommément désigné [^2] » , avait (courageusement) pris le parti de ne pas même auditionner le milliardaire.
(N’allons pas embêter le bon monsieur Pinault, qui a déjà tellement de soucis avec l’entretien de son pied-à-terre tropézien.)
Surtout : le procureur de Nanterre a toujours la haute main sur la fameuse affaire des emplois fictifs du RPR, où Jacques Chirac est cité comme « témoin assisté [^3]».
En participant au chic dîner pinaultique de l’été dernier, Philippe Courroye s’est par conséquent affranchi de la [décence] prudence qui veut qu’un magistrat de son niveau évite, en général, de trop frayer avec des justiciables dont les affaires sont traitées par son parquet – et cela aurait pu, dans une démocratie moyenne, susciter, sinon une tempête de niveau 8, du moins quelque chose comme un léger friselis médiatico-judiciaire.
Là, non.
La presse, respectueusement, se tait
– sans doute parce qu’elle a frénétiquement chanté naguère la louange du valeureux Courroye, magistrat de rêve, et de son fidèle Tornado [^4].
Et personne, au sein de l’institution judiciaire, ne semble s’offusquer de l’ahurissant mélange des genres auquel ce héros s’adonne : le procureur général de Versailles, pour autant qu’on le sache, n’a pas adressé au dîneur le moindre avertissement – et Rachi2dati, garde des Sceaux, n’a pas (du tout) saisi le Conseil supérieur de la magistrature.
Mon petit doigt me dit que si un magistrat pique-niquait impromptu avec un des « neuf de Tarnac », cela provoquerait de plus vifs remous : ce sont précisément ces toutes petites nuances qui font toute la différence entre une démocratie moyenne et une république bananière.
[^2]: Dans le cadre du deuxième volet de l’affaire du Crédit lyonnais.
[^3]: Le Canard précise également que « Philippe Courroye […] a eu l’occasion, comme juge d’instruction, en 2004, de refermer le dossier des “frais de bouche” du couple Chirac »…
[^4]: Puis il est, n’est-ce pas, tellement plus facile d’accabler un « petit juge », type Burgaud…
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.