« Le NPA doit beaucoup inventer pour réussir »
Le livre de Philippe Pignarre est le premier consacré au NPA qui ne soit pas l’œuvre d’un militant. L’auteur pose de bonnes questions sur les moyens et les objectifs de l’organisation. Mais beaucoup de réponses relèvent encore d’une logique incantatoire.
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Politis : Vous rappelez au début de votre livre votre passé de permanent à la LCR durant les années 1970 et la lourdeur des tâches de militant. Le NPA ne présage-t-il pas un militantisme plus léger, induit par la fin du parti d’avant-garde ?
Philippe Pignarre : Je crois en effet que le NPA ne peut plus se définir comme un parti d’avant-garde. Essentiellement parce que la théorie qui le définissait ne fonctionne plus, ne semble plus efficace, pour une bonne part, dans la société actuelle. On avait l’impression depuis un certain temps que la théorie trotskiste tournait un peu à vide, comme si les mailles du filet étaient trop larges pour saisir la réalité qui nous entoure. Je ne sais pas si le NPA a tiré toutes les conséquences de l’effritement de cette théorie, mais je pense que ses animateurs ont en tout cas senti cette évolution. On le remarque lorsqu’on lit les textes d’Olivier Besancenot ou des gens qui l’entourent. Aussi, si l’on n’a plus cette théorie en surplomb qui offrait un schéma de réponses presque immuable, on est obligé de militer différemment. C’est aussi ce qu’il me semble intéressant d’observer avec les premiers moments de cette nouvelle organisation.
Ne pensez-vous pas qu’avec cet abandon de la référence trotskiste qui marque la naissance du NPA, la LCR vient de prendre finalement acte de la chute du mur de Berlin ?
Sans doute. Pour ma part, je considère que deux événements ont amorcé le déclin de cette référence : le mur de Berlin, en effet, et la révolution iranienne. Auparavant, toutes les révolutions qui avaient eu lieu dans les pays en voie de développement pouvaient entrer dans le schéma de la révolution permanente, même si certaines avaient échoué (comme en Algérie), et d’autres abouti (comme à Cuba ou en Chine). La révolution iranienne, d’un seul coup, apparaît comme quelque chose de fondamentalement différent. Ces deux événements sont donc selon moi fondateurs de cette transformation, où toutes ces références liées au socialisme semblent avoir perdu de leur pertinence dans le monde où nous vivons aujourd’hui. Pour comprendre ces phénomènes, les outils restent à inventer. La LCR ne les a en tout cas pas inventés. Ce sera aussi l’une des tâches du NPA.
Vous tentez de définir ce qu’est être anticapitaliste aujourd’hui, et vous différenciez notamment les anticapitalistes des révolutionnaires…
Cela me paraît très important. Ce livre se définit comme pragmatiste. Être anticapitaliste, c’est se battre contre un certain nombre d’aspects de ce système qui nous saisissent et dont on se rend compte qu’ils détruisent le monde. Par rapport à Marx ou à la tradition trotskiste, où le capitalisme est d’abord défini par l’exploitation, je crois qu’aujourd’hui, grâce à ce que nous avons appris du mouvement altermondialiste, le capitalisme se caractérise non seulement par l’exploitation mais aussi par la destruction. Cette idée que le capitalisme est un système destructeur me paraît essentielle et permet de comprendre pourquoi la question de l’écologie n’est pas une revendication qui viendrait « en plus », mais se trouve au cœur d’une politique anticapitaliste. Une des nouveautés du NPA par rapport à la LCR, c’est d’être radicalement écologiste. Et j’ai vu lors du congrès de fondation de ce nouveau parti que ses militants s’engagent en profondeur sur cette question. Ils font un effort considérable sur ce point, sachant que cela ne faisait pas directement partie de la tradition de la LCR. La tradition marxiste pouvait même parfois se réjouir du caractère destructeur du capitalisme : en détruisant le vieux monde, on se rapproche du monde nouveau. Appréhender ce caractère destructeur a des conséquences immenses : cela signifie que l’on ne tend plus vers l’homme nouveau. Ces débats n’ont pas encore eu lieu au NPA, mais vont assurément l’amener à repenser beaucoup de choses.
Le NPA n’a pas adhéré aux initiatives visant à une unité de la gauche de la gauche, comme l’Appel de Politis, par exemple. Il a aussi refusé l’alliance avec les organisations à la gauche du PS. Aussi, comment compte-t-il agir sur le réel ? Compte-t-il devenir un super-syndicat ou attend-il le « grand soir » ?
Il est certain que ce ne sont pas les élections qui intéressent les militants du NPA. Je crois en effet qu’il y a sur ce point une vraie continuité avec la LCR, c’est-à-dire que l’objectif reste certainement la grève insurrectionnelle, un grand mouvement social comme en mai 1968. C’est l’idée du « tous ensemble » qui structure le NPA. Cependant, je ne crois pas que l’alternative se limite à un choix entre les élections et le « grand soir ». Je pense qu’on ne doit pas renoncer à se battre pour des grands mouvements sociaux comme il en existe en France régulièrement et qui sont très importants dans la fabrication d’un collectif de lutte contre le capitalisme. Et il ne s’agit pas tellement, à mon avis, d’articuler cette volonté avec une stratégie électorale. Je crois qu’il faut plutôt essayer d’articuler une stratégie de grève générale aux multiples expériences anticapitalistes quotidiennes de tous ceux qui affrontent ce système et inventent des réponses contre ses effets destructeurs. Je pense en premier lieu au mouvement altermondialiste, mais aussi aux mouvements contre la précarité, contre les OGM, de lutte contre le sida, comme Act Up, etc. La LCR a beaucoup appris dans le Forum social mondial. De même, le NPA fait aujourd’hui un gros effort pour intégrer une vision écologiste dans ses pratiques et ce pour quoi il lutte. Toutefois, si l’attente du « grand soir » dévore tout le reste au sein du NPA, ce parti va dans le mur. Il lui faudra au contraire articuler le « tous ensemble » avec d’autres expérimentations. C’est un grand défi, et ses militants doivent inventer beaucoup de choses pour réussir. Mais c’est aussi ce qui est excitant dans cette démarche. C’est comme cela que je termine mon livre, car je n’ai pas les réponses. À eux d’inventer !