Les soignants allergiques à la loi
À la veille de passer au Sénat, la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » soulève une
contestation générale du milieu, qui craint une médecine résolument mercantile.
dans l’hebdo N° 1051 Acheter ce numéro
La mobilisation contre le projet de loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) prend une ampleur qui ressemble à la contestation universitaire. Adoptée par les députés, la loi doit être examinée au Sénat à partir du 11 mai. Il s’agit donc, pour les intéressés, de ne pas céder maintenant. Le 28 avril, ils étaient nombreux à manifester en France (plus de 10 000, notamment à Paris), nombreux aussi à faire grève (50 % des personnels dans la capitale). Roselyne Bachelot a réussi à créer l’unanimité contre elle, jusqu’au sein de sa majorité, dont le député Bernard Debré (UMP), professeur de médecine, dénonçant « la vision exclusivement comptable » d’une loi qu’il refuse de voter.
Situation unique : la HPST mobilise le corps médical dans son ensemble. À commencer par les cadors : 25 personnalités parisiennes [^2] ont signé un appel contre le projet de loi dans le Nouvel Observateur , rassemblant des professeurs comme André Grimaldi, dénonçant « une loi destructrice et injuste » , qui porte la disparition d’une médecine hospitalière remarquable, établie il y a plus de cinquante ans. « La pensée marchande dont se prévaut cette loi réduit le qualitatif au quantitatif, le malade au tarif de sa maladie. » Et dans le même temps, rappellent les professeurs, « on organise des suppressions massives et injustifiées d’emplois d’infirmières et d’aides-soignants » . Au diapason, ce sont aussi les médecins, les infirmiers, les agents hospitaliers, les administratifs qui se sont ajoutés à la fronde.
En jeu, donc, la mise en place d’un hôpital qui se calerait sur le modèle libéral. Le projet de loi prévoit la création d’Agences régionales de santé (ARS), censées renforcer le pilotage territorial du système de santé. C’est surtout une manière d’affaiblir le pouvoir médical avec « une organisation institutionnelle pyramidale qui permet rapidement au pouvoir exécutif de faire appliquer sa politique de santé en évitant tout obstacle » , estime Pascal Caboret, praticien hospitalier (membre du Syndicat de la médecine générale) à l’Hôpital Sèvre-et-Loire, au sud de Nantes.
Et pour cela la loi donnerait tous les pouvoirs à un directeur d’hôpital, « véritable préfet de santé » , nommé et révoqué par le directeur de l’ARS, lui-même nommé (et révoqué) par le Conseil des ministres, poursuit Pascal Caboret. Un patron d’hôpital qui ne sera pas même médecin, mais chef d’entreprise, et qui nommera à son gré les « chefs de pôles » (auparavant les chefs de service), les responsables des départements et des services, avec obligations de résultat. Cela poursuit la logique introduite par la tarification à l’activité (baptisée T2A). C’est-à-dire des ressources en fonction du nombre d’actes. Un maximum donc, dans les plus brefs délais. Or, « une prise en charge médicale digne de ce nom, poursuit Pascal Caboret, ne peut se mesurer à la multiplication d’actes techniques ». Selon cet état d’esprit libéral, on peut s’inquiéter sur le devenir des prises en charge médico-sociales de longue haleine.
Certes, le ministère pourrait revenir sur le mode de nomination des chefs de pôles, et reporter la convergence tarifaire à 2018, mais ce sont bien les missions de l’hôpital public qui sont aujourd’hui remises en cause, et de franches coupes budgétaires, des effectifs moindres (700 suppressions d’emploi dès cette année à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris) vont conduire les établissements au bord de l’asphyxie. Au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse sacrifie la culture du service public à celle du résultat comptable. Au ministère de la Santé, Roselyne Bachelot livre une copie conforme.
[^2]: Les professeurs Basdevant, endocrinologue, Bourgeois, rhumatologue, Bousser, neurologue, Brochard, anesthésiste réanimateur, Dubourg, cardiologue, Fischer, pédiatre, Franco, chirurgien digestif, Frydman, gynécologue obstétricien, Gaudric, ophtalmologue, Gluckman, hématologue, Godeau, médecin interniste, Grimaldi, diabétologue, Guillevin, médecin interniste, Kieffer, chirurgien vasculaire, Kuttenn, gynécologue, Lyon-Caen, neurologue, Mariette, rhumatologue, Menasche, chirurgien cardiaque, Musset, radiologue, Niaudet, pédiatre, Sahel, ophtalmologue, Sedel, chirurgien orthopédiste, Valla, hépatologue, Varet, hématologue, et Vernant, hématologue.