Les vraies fausses pubs d’Areva
Le Jury de déontologie de la publicité a récemment condamné des publi-reportages pronucléaires parus dans des magazines pour enfants qui avaient passé contrat avec Areva ou EDF.
dans l’hebdo N° 1051 Acheter ce numéro
Coup sur coup, les entreprises Areva et EDF viennent d’être épinglées en flagrant délit de tromperie publicitaire par le Jury de déontologie de la publicité (JDP). Le tort de ces mastodontes, les deux plus importants opérateurs du nucléaire au monde dans leurs secteurs (construction de centrales, filière du combustible, exploitation de centrales) : avoir financé des publicités déguisées sous forme de pseudo-informations journalistiques, avec la complicité bienveillante et intéressée de plusieurs magazines pour la jeunesse, dont les éditeurs se trouvent conjointement blâmés pour ces manœuvres.
C’est le réseau Sortir du nucléaire, auquel adhèrent 846 associations, qui a saisi début mars le Jury de déontologie de la publicité [^2]. L’hiver dernier, les militants s’alarment de la parution d’une salve de pages entières vantant les mérites du nucléaire dans plusieurs magazines pour enfants [^3] : en novembre, Images doc et Science et vie junior ; en décembre, l es Clés de l’actualité (n° 779), les Clés de l’actualité junior (n° 631), le quotidien l’Actu (30 décembre) et Science et vie junior ; et le 28 janvier 2009, les quotidiens l’Actu et Mon Quotidien . Le lecteur y voit déroulé le catéchisme de l’industrie nucléaire, un monde lisse et maîtrisé, sans l’ombre d’un écueil. Rien sur l’insoluble problème des déchets ou sur les risques de la technologie : l’atome est le fer de lance des énergies de demain, abondantes et propres, débarrassées des émissions de CO2.
Les écrits portent les logos d’Areva et d’EDF. S’agit-il d’une campagne publicitaire en bonne et due forme ? Sortir du nucléaire le conteste avec virulence : dans tous les cas incriminés, l’association relève des libertés prises avec la déontologie publicitaire, voire de franches tromperies, particulièrement choquantes alors qu’il s’agit de publications ciblant des lecteurs entre 8 et 14 ans (et au-delà pour l’Actu ). « Ces pratiques nous apparaissent comme une stratégie visant à influencer un public insuffisamment expérimenté pour identifier la supercherie » , juge Stéphane Lhomme, porte-parole de Sortir du nucléaire.
Ainsi, dans le meilleur des cas, est-il fait usage du terme « publi-information » pour signaler le statut des pages. Pour être d’usage fréquent en presse écrite, il déroge pourtant aux obligations faites aux annonceurs d’utiliser les termes « publicité » ou « communiqué » s’il s’agit d’une annonce payée. Mais c’est encore le moins critiquable. Dans la plupart des cas, les pages suggèrent explicitement un partenariat entre les industriels et les médias. Ainsi, l’insertion « Les clefs de l’énergie nucléaire », signée Areva, a-t-elle été réalisée « en collaboration avec les Clés de l’actualité » ; ou bien cet éclaté de centrale nucléaire en poster central, portant les logos de Mon Quotidien et de l’Actu , « en collaboration avec Areva » . « Du grand art, s’élève Stéphane Lhomme. Alors que les mentions obligatoires doivent permettre au lecteur d’identifier sans ambiguïté qu’il s’agit de publicité, ces détournements induisent l’idée que le média a apporté sa caution morale au message de l’industriel ! »
Mais certaines opérations sont allées encore plus loin, comme ce vrai faux numéro de l ’Actu (10 décembre 2008), huit pages de promotion du nucléaire habillées d’une couverture copie conforme de la maquette de la publication, et servie ce jour-là aux jeunes lecteurs avec leur quotidien habituel comme un « second cahier réalisé en collaboration avec EDF ». Images doc a même poussé la confusion en publiant quatre pages de prose pronucléaire maquillées sous forme d’articles, et cosignées « Areva avec Images doc ».
À la parution, Sortir du nucléaire a protesté auprès des rédactions, tentant d’obtenir, sans succès, des encarts rédactionnels pour « rééquilibrer l’information » sur le nucléaire. Fin mars, le JDP se prononce : il s’agit bien de publicités déguisées pour Areva dans le cas d’ Images doc (Bayard presse) ainsi que pour EDF dans Mon Quotidien et l ’Actu (éditions Play Bac), constitutives d’un défaut dans la loyauté due au lecteur. Le Jury s’en est tenu au premier niveau de l’échelle de ses sanctions : il reconnaît le bien-fondé de la plainte, et publie sur son site un avis argumenté.
On peut y lire les arguments des parties, qui, parfois, ne manquent pas de sel. EDF et Play Bac expliquent ainsi que le « second cahier » dans l’Actu du 10 décembre 2008 a été entièrement et librement réalisé par la rédaction, sans autre intervention de la part de l’électricien qu’une collaboration d’expertise, tout cela dans le cadre d’un partenariat financier plus vaste (insertions publicitaires mais aussi « l’accès à un certain nombre d’opérations de débat et de communication organisées par Play Bac » ). « En général, on rémunère les experts pour leur travail. Dans ce cas, ce sont eux qui font le chèque ! » , ironise Stéphane Lhomme.
Bayard Presse, éditeur d’ Images Doc , ose même l’indéfendable : son encart pro-Areva ayant été rédigé par ses journalistes « et seulement corrigé par Areva » , il ne s’agit pas d’une pub, mais d’un document à caractère « instructif et pédagogique » !
C’est une contre-vérité flagrante, comme on peut le vérifier à la lecture du contrat de « convention de prestations » passé entre Areva et Bayard, que nous a transmis Sortir du nucléaire [^4] : il s’agit bien de publicité, et l’accord précise en clair les contours de cette fabrique de messages destinés à édifier les enfants sur le nucléaire : la mise en page sera un « compromis entre la charte graphique d’Areva et de celle du magazine ; le logo d’Areva devra apparaître avec celui d’Images doc » « accompagné de la mention “avec” ».
Les deux Clés de l’actualité (titres édités par Milan, aujourd’hui disparus) ont été logés à la même enseigne, Science et vie junior (édité par Mondadori) échappant seulement à la clause de « mariage » des logos (voir encadré). Ces deux éditeurs échappent à la sanction du JDP, qui se contente de la présence des mentions « publi-info » (ou équivalent) pour justifier son absolution.
Un peu gêné quand même, le Jury reconnaît pourtant implicitement qu’il y a abus manifeste dans l’utilisation courante de telles dénominations non officielles, alors que l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) recommande que, « lorsqu’il s’adresse aux enfants, le caractère publicitaire du message doit être rapidement identifiable ».
Aussi, le JDP se fend d’une suggestion à destination de l’ARPP : que soient bannies de telles ambiguïtés pour s’en tenir à des mentions immédiatement compréhensibles par des jeunes lecteurs, telle que : « Ceci est une publicité. » Le Jury relève d’ailleurs qu’Areva utilise fréquemment « publicité » dans des publications destinées à un lectorat adulte.
Sortir du nucléaire, pour sa part, ne se contente pas des positions du Jury, qu’elle considère trop timorées – absence de sanction pour les uns, condamnations symboliques pour les autres. L’association envisage donc de saisir la justice pour tromperie, à moins que les magazines ne publient des rectificatifs pour informer leurs lecteurs sur les méthodes d’Areva et d’EDF. Ce qui paraît évidemment exclu : les éditeurs ont loyalement exécuté les prestations prévues par des contrats qu’ils ont signés en toute connaissance de cause.
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[^2]: Voir le site , onglet « décisions du JDP », 18 et 28 mars 2009. Le JDP est la nouvelle instance mise en place fin 2008 par les professionnels de la publicité pour prendre le relais d’un Bureau de vérification de la publicité (BVP) obsolète et régulièrement discrédité pour sa complaisance envers les annonceurs. Le JDP peut être saisi par toute personne estimant qu’une publicité pose un problème déontologique
[^3]: , puis lien « Areva, EDF et les magazines pour les jeunes »
[^4]: En ligne dès jeudi 7 mai en fin d’après-midi sur le site de l’association (), ainsi que deux autres, liant Areva à Mondadori et à Milan.