« Nous subissons des menaces »

Présidente du collectif Sauvons la recherche et professeur d’épistémologie des sciences sociales à Villetaneuse Paris-XIII, Isabelle This Saint-Jean analyse la stratégie du gouvernement face au conflit.

Jean-Claude Renard  • 14 mai 2009 abonné·es
« Nous subissons des menaces »

Politis : Quel jugement portez-vous sur la stratégie gouvernementale pour décrédibiliser le mouvement universitaire ?

Isabelle This Saint-Jean I Nous alternons entre colère et indignation. Il faut d’abord rappeler que nous nous battons pour les étudiants. Le mouvement a fait preuve de maturité. Les enseignants ont fait au mieux avec les cours et les étudiants. On doit maintenant être vigilants sur la manière dont on traite les examens. Jusqu’à présent, l’opinion nous a été favorable. L’approche des examens peut faire basculer cette tendance, les gens peuvent avoir un sentiment d’instrumentalisation, d’où la nécessité de ­ré­pondre en soulignant combien la ­mi­nistre Valérie Pécresse porte la responsabilité du conflit. Les conditions de sorties de crise étaient clairement exposées, et vraiment pas insurmontables.

Valérie Pécresse estime
que nombre de revendications ont été entendues et revues.
Qu’en est-il exactement ?

Elle n’a cédé sur presque rien au regard de l’ampleur de la mobilisation, sachant qu’on ne demandait tout de même pas la lune ! Les lignes les plus dures ont réclamé l’abrogation de la LRU, mais l’ensemble s’est surtout mobilisé sur les décrets, la masterisation, l’emploi et les organismes de recherches. Si l’on regarde ces quatre dossiers, on voit que presque rien n’a été accordé.
Sur la masterisation, il y a juste un report d’une année. Sur les décrets, objet de la plus grande mobilisation, sur lesquels circulent beaucoup de mensonges, rien n’a été modifié. Même Claude Guéant a reconnu que, réécrit, le texte est le même ! Il a seulement évolué sur les promotions, mais pas sur l’essentiel, c’est-à-dire sur les modulations de service, mises en place dans un contexte d’emplois scientifiques décroissants et sans recours possible. Un jeune enseignant-chercheur en début de carrière ne pourra pas dire non à son président d’université, et se retrouvera avec plus de cours. Ces décrets ouvrent la porte à de sérieuses interrogations sur notre indépendance. Derrière cette indépendance, ce sont les libertés publiques qui sont remises en cause. Côté emploi, rien n’a changé non plus. Il y a seulement une promesse de François Fillon de non-suppression de postes en universités pour 2010 et 2011. Ce n’est qu’une promesse, laquelle ne concerne même pas les organismes de recherches, qui ont tout à craindre. Il ne s’agit pas seulement de s’élever contre les suppressions, mais aussi d’obtenir davantage d’emplois scientifiques. On attend toujours le plan pluriannuel d’emploi pourtant promis. Enfin, sur le démantèlement des organismes de recherches, c’est l’opacité totale. Aucune garantie n’a été donnée.

Comment justifiez-vous l’entêtement du ministère ?

Par la volonté d’exemplarité, l’envie de nous mettre à genoux, de manière purement cynique. Le sort des étudiants et la recherche publique ne sont pas sa première préoccupation, sans quoi le gouvernement aurait lâché.
Quel est le rôle des présidents d’université ?
Il existe une grande diversité au sein de la Conférence des présidents d’université (CPU). Elle a d’abord accompagné et porté la LRU ; aujourd’hui, elle est plus réservée sur la pertinence des réformes en cours. Les présidents occupent une position très inconfortable. Ils sont en charge des étudiants, avec la responsabilité d’un discours à tenir et le devoir de défense des institutions. Ils sont aussi probablement soumis à des menaces du gouvernement. Car celui-ci fonctionne à coups de menaces. La criminalisation du mouvement en témoigne. Si les présidents d’université ne rétablissent pas ­l’ordre, on leur fait entendre que toutes les ressources seront coupées. Nicolas Sarkozy a été clair : « Pas de moyens sans réformes ! » Cela dit, les moyens n’y sont pas ! C’est pour cette raison que certains présidents sont à nos côtés.

Quel regard portez-vous
sur le traitement médiatique des revendications ?

Il y a une réelle difficulté pour la presse à traiter du sujet sur le fond. Il me semble qu’en général elle suit trop les pièges médiatiques du gouvernement. Maintenant, c’est celui de la « minorité gauchiste » sur les blocages, qui sacrifierait une génération, pour nous discréditer ; c’est aussi le piège des examens. Cela mériterait d’être traité avec plus de recul. Mais le gouvernement a une capacité à occuper le terrain médiatique, une maîtrise de la communication que nous, enseignants, n’avons pas. Cela dit, l’une des victoires de notre mouvement est peut-être que l’on a préparé les esprits pour d’autres secteurs, comme celui de l’hôpital et la sauvegarde des emplois publics.
Enfin, comment envisagez-vous la suite du mouvement ?
Il est important de garder l’opinion publique avec nous parce qu’il y a une échéance électorale, et il faut que l’on fasse partie des éléments qui vont envoyer un message très clair au gouvernement. À l’occasion des élections européennes, nous organisons le 30 mai une table ronde au Centquatre, à Paris, sur les réformes universitaires européennes, en présence de nombreux chercheurs.
Dans la même perspective, nous organisons le 4 juin une manifestation sous le nom de « marche de tous les savoirs », qui porte un message au cœur de nos préoccupations : la connaissance comme valeur en soi, et non pas comme marchandise.

Société
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