Quand on ne sait pas, on se tait !

Patrick Piro  • 21 mai 2009 abonné·es

Vieillotte mais mythique, la collection « Que sais-je ? » vient de se payer un petit lifting. Dans l’habillage, principalement, avec le passage à la quadrichromie en couverture, « qui doit donner envie d’accéder au savoir » , justifiait Dominique Reymond, directrice des relations extérieures des Presses universitaires de France (PUF), l’éditeur, au micro de France Info le 4 mai. Pour le reste, peu de changement : on ne prend pas de risque avec un succès d’édition qui a produit 160 millions d’exemplaires et connu des traductions dans 43 langues. Dominique Reymond aurait pu se contenter de valoriser un patrimoine national, elle s’engage sur le terrain de la concurrence àîî Wikipédia.

Le débat sur l’encyclopédisme a été profondément renouvelé par l’essor irrésistible du site participatif : actuellement 13 millions d’articles dans 266 langues (dont 88 avec plus de 10 000 articles), et des millions de contributeurs pour les rédiger, les critiquer, les amender après discussion. « Que sais-je ? » se renouvelle-t-il « sans arrêt »  ? C’est presque en temps réel pour Wikipédia. L’atout majeur avancé par Dominique Reymond est un classique du débat : « L’expertise de nos auteurs, la fine fleur des universitaires français […], est une garantie pour le lecteur. » Le savoir académique, uninominal, face au bouillonnement bénévole de surfeurs indistincts… On sait que des articles de Wikipédia sont régulièrement épinglés pour leur manque de consistance, en général par insuffisance de contributeurs. Mais d’autres, très nombreux, sont jugés excellents par des spécialistes. Alors, nous avons voulu prendre l’éditrice au mot, avec l’examen (pas innocent) d’un récent titre de la collection : les 100 mots du nucléaire (mars 2009).

La fine fleur universitaire des auteurs : Anne Lauvergeon, présidente du directoire d’Areva, numéro un mondial de la construction nucléaire, et Bertrand Barré, conseiller scientifique… d’Areva, ainsi que président de l’Académie internationale d’énergie nucléaire. On glisse sur le catalogue des termes techniques, c’est sûrement irréprochable. Et l’on s’attarde aux mots sensibles.
À « Tchernobyl », on apprend que le nucléaire n’y était pour rien, ce sont les Soviétiques et leur technologie boiteuse ; le thème crucial des déchets radioactifs n’a droit qu’à cinq pages, anodines et tendancieuses . Le Traité de non-prolifération ? Il « a permis de ralentir spectaculairement la prolifération » des armes atomiques, qui n’ont pas « besoin » du nucléaire civil, « l’histoire démontrant abondamment que le nucléaire militaire a précédé le nucléaire civil » … Au chapitre « Opinion publique », l’explication de l’opposition au nucléaire atteint le summum du mépris : il s’agirait du transfert inconscient de l’angoisse insupportable de la bombe atomique sur les centrales, une peur plus « confortable » ; etc.
Tout cela fleure son rouage dans la lourde opération de séduction engagée tous azimuts par Anne Lauvergeon depuis des mois.
Le savoir, contrairement à une idée dépassée, naît pour beaucoup dans la confrontation des opinions. Cet opuscule lisse, soporifique plaidoyer pour le nucléaire (et son savoir-faire français), est bien loin de cette notion.

Idées
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