Cinq questions sur l’écotaxe

Jean-Louis Borloo et Christine Lagarde ont relancé le débat autour d’une future contribution « climat et énergie ». Mais cet impôt vert risque d’avoir une efficacité limitée.

Thierry Brun  • 18 juin 2009 abonné·es
Cinq questions sur l’écotaxe

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Le consensus est général sur la nécessité de protéger l’environnement, notamment en développant des instruments relevant de la fiscalité. Il n’est donc pas surprenant que la « taxe carbone », portée par l’écologiste Nicolas Hulot en 2007, fasse son grand retour après le succès enregistré par les Verts d’Europe Écologie. Les ministres de l’Économie et du Développement durable, Christine Lagarde et Jean-Louis Borloo, ont opportunément présenté le 10 juin un livre blanc « en vue d’une conférence des experts sur la contribution climat-énergie » qui se tiendra les 2 et 3 juillet pour étudier la création de cette nouvelle écotaxe. Mais plusieurs organisations s’interrogent sur l’ambition politique du gouvernement, alors que la France doit réduire de 14 % (par rapport à 2005) ses émissions d’ici à 2020. Les ministres ont d’ores et déjà réduit le cercle des experts et des associations de défense de l’environnement invités à cette conférence. Et un court délai, d’une dizaine de jours, a été fixé pour la remise des contributions d’expertises. Le résultat risque d’être décevant, comme on pourra le constater en cinq questions autour de l’écotaxe.

Pourquoi une taxe est-elle nécessaire ?

Les besoins de financement pour faire face à l’urgence climatique sont considérables. L’idée de mettre en place des écotaxes fait désormais l’unanimité, tout simplement parce qu’une telle contribution « serait efficace, affirme Philippe Quirion, économiste et membre du Réseau action climat-France. Des centaines d’études statistiques le prouvent » . Thomas Sterner, président de l’Association européenne des économistes de l’environnement et des ressources naturelles, a synthétisé ces études et montre qu’à long terme, si l’on augmente de 1 % le prix des carburants, la consommation diminuera de 0,6 à 1 %. « Il s’agit de dégager des ressources nouvelles pour financer des politiques publiques de reconversion des industries les plus polluantes, de soutien à l’agriculture paysanne, de développement des transports publics et de mise aux normes des logements sociaux, de participation au fonds mondial de lutte contre le changement climatique dans le cadre de l’ONU » , estime l’association altermondialiste Attac.

Que propose le gouvernement ?

La contribution climat-énergie à l’étude veut « encourager les comportements sobres en carbone et en énergie » , selon les termes fixés dans le projet de loi relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, actuellement en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. La taxe serait supportée « à la fois par les entreprises et les ménages. Elle refléterait un prix unique du carbone quelles que soient les sources d’émission » , rappelle le livre blanc. L’objectif est de modifier les comportements en encourageant, grâce un « signal prix », ménages et entreprises à consommer moins d’énergies fossiles (pétrole, gaz charbon), principaux responsables du réchauffement climatique. Selon la Fondation Nicolas-Hulot, l’idée serait d’appliquer un niveau assez bas de taxe à tous les produits, en fonction de leur émission de CO2, tout en augmentant le taux les années suivantes. Le produit de la taxe serait redistribué sous la forme d’un « chèque vert » pour les particuliers et elle serait compensée par un abaissement des charges sociales pour les entreprises.
L’idée d’accroître par une taxe le prix des énergies fossiles pour inciter à une baisse de la demande est cependant « contredite par la réalité des comportements » , critique l’association de consommateurs UFC-Que choisir, qui rappelle que le prix du carburant a augmenté de 66 % de 1995 à 2006 (près de 5 % par an) et que la consommation des particuliers, loin de diminuer, s’est accrue de 7,6 % sur la période. Telle qu’elle figure dans la proposition du gouvernement, « cette contribution [est] socialement injuste , ajoute Attac. Les transports et la consommation énergétique en matière d’habitat, qui constituent deux postes essentiels des budgets et des sources majeures d’émission de gaz à effet de serre, requièrent des politiques publiques qui sortent les plus démunis de la “trappe à carbone” ».

Quelles sont les marges de manœuvre gouvernementales ?

Elles sont faibles. Nicolas Sarkozy a limité considérablement le champ d’action de cette fiscalité verte, lors des conclusions du Grenelle de l’environnement, en octobre 2007. L’intention de l’Élysée et du gouvernement est de procéder à un déplacement de la fiscalité du travail vers la réduction de la pollution, « afin de ne pas alourdir la pression fiscale sur le travail et de ne pas pénaliser la croissance » , souligne le livre blanc. Le chef de l’État rejette en effet toute augmentation d’impôt et n’a pas caché que cette nouvelle écotaxe serait un des moyens de compenser la suppression de la taxe professionnelle acquittée par les entreprises. Ce qui a fait bondir l’association de consommateurs Que choisir : « Le gouvernement doit renoncer définitivement à un projet de “TVA sociale carburant” qui consisterait à utiliser la taxe carbone pour baisser les charges sociales. » « On sait déjà que l’on tablerait sur une collecte située entre 5 et 6 milliards d’euros, ajoute Laurent Hutinet, en charge de ces questions pour Les Amis de la Terre, ce qui semble mineur comparé au plan de relance, qui est de l’ordre de 70 milliards. On ne dégage donc pas les moyens qu’il faudrait pour réorienter l’économie française. »

L’électricité et les entreprises sont-elles concernées ?

Jean-Louis Borloo et Christine Lagarde expliquent dans le livre blanc que la contribution ne concernera que les émissions de gaz à effet de serre. « Par idéologie pronucléaire, Nicolas Sarkozy s’est focalisé sur les énergies fossiles alors que l’ensemble des participants au Grenelle de l’environnement s’était rallié à une taxe à assiette mixte : énergie et gaz à effet de serre, commente Philippe Quirion. On ne s’attaque pas à l’explosion des usages de l’électricité alors que de grosses sources d’économie existent, et que des comportements et des appareils très gaspilleurs, comme les écrans plasma, se diffusent. Et on favorise le chauffage électrique aux dépens des autres sources d’énergie. » D’autre part, les entreprises pourraient être exemptées, car déjà soumises au marché européen de quotas d’émission mis en place en 2005, « alors que ce marché des droits à polluer s’est révélé plus efficace pour stimuler la spéculation financière que pour réduire les émissions de gaz à effet de serre » , souligne Geneviève Azam, économiste, membre du conseil scientifique d’Attac.

Une écotaxe parmi d’autres ?

Il existe déjà une fiscalité environnementale avec plus d’une cinquantaine de taxes, qui représentaient seulement 2,1 % du PIB en 2004. Si l’on inclut les nouvelles mesures adoptées dans la loi de finances pour 2009, l’ensemble forme une usine à gaz à l’efficacité contestée. « Il faudrait reprendre ces outils et leur donner une cohérence, de façon à assurer des objectifs de réduction des émissions de CO2 et de méthane », estime Laurent Hutinet. La fiscalité environnementale « n’existe pour ainsi dire pas en France, et elle est difficile à mettre en œuvre en Europe ; en témoigne le débat sur la mise en place soit d’une taxe carbone, prônée par la France car elle ne concerne pas le nucléaire, soit d’une taxe sur le contenu énergétique, que d’autres pays demandent pour, précisément, imposer aussi le nucléaire » , explique Vincent Drezet, du Syndicat national unifié des impôts (Snui). Dans ces conditions, la fiscalité écologique risque de n’être qu’un transfert de charge surfant sur la sensibilité de l’opinion et un enjeu fondamental.

Écologie
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