Contre le « choc des civilisations »
Les élections législatives du 7 juin s’annoncent très serrées. Elles pourraient permettre de dépasser l’antagonisme entre « pro-Occidentaux » et « pro-Syriens ».
dans l’hebdo N° 1055 Acheter ce numéro
Et si le Hezbollah gagnait ? », titrait ces jours-ci un hebdomadaire français, enchaînant papiers et commentaires apocalyptiques prédisant déjà la transformation du Pays du cèdre en tête de pont avancée de la République islamique d’Iran. Le ton est donné en attendant le résultat des élections législatives libanaises du 7 juin, qui se jouera, vraisemblablement, à moins d’une dizaine de sièges près sur les 128 que compte le Parlement. Dans tous les cas de figure, il se peut au contraire que ce rendez-vous historique pour le Liban et le Proche-Orient puisse constituer une occasion d’atténuer la stricte dualité d’un camp pro-occidental confronté à un autre pro-syrien, sinon pro-iranien. Un tel coup de canif dans l’idéologie du « choc des civilisations » serait une bonne nouvelle, voire un point d’appui susceptible de servir la relance d’une dynamique de négociation « régionale-globale ».
L’une des caractéristiques de la préparation du scrutin : le cash coule à flots ! Chacun essayant d’acheter le maximum de votes ; une voix pouvant se monnayer jusqu’à 5 000 dollars. Même si, pour la première fois, le Liban a instauré un plafond des dépenses de campagne et confié à la branche locale de Transparency International la surveillance des fonds, les flux engagés restent largement incontrôlables, notamment ceux en provenance d’Arabie Saoudite, qui, selon les experts de plusieurs ambassades européennes, restent les plus importants. « Nous nous y consacrons à fond » , confirme un conseiller du gouvernement saoudien, précisant que la contribution du royaume devrait atteindre plusieurs centaines de millions de dollars. « Nous soutenons les candidats qui se présentent contre le Hezbollah, poursuit-il, et nous entendons mettre en œuvre les fonds suffisants permettant de maintenir la pression sur l’avancée de l’Iran dans la région [^2]
. »
La majorité parlementaire sortante, dite du « 14 mars », s’est formée à la suite de l’assassinat de l’ancien Premier ministre sunnite Rafic Hariri. S’appuyant sur les communautés sunnite, druze et, pour partie, chrétienne – soutenue par la France, les États-Unis et l’Arabie Saoudite –, cette coalition regroupe les factions maronites farouchement hostiles au général chrétien Michel Aoun. En signant, le 6 février 2006, un document « d’entente » avec le Hezbollah, le chef du Courant patriotique libre (CPL) a opéré une véritable révolution copernicienne au sein de la communauté chrétienne. Allergique au confessionnalisme et favorable à une laïcisation progressive du pays, ce militaire de carrière incarne les aspirations des classes moyennes maronites marginalisées par la politique libérale du gouvernement de Fouad Siniora. Le CPL estime que les forces du « 14 mars » perpétuent non seulement l’ordre communautaire traditionnel, mais aussi – et surtout – l’allégeance du Liban à l’agenda américano-israélo-saoudien reléguant le Liban à son statut traditionnel « d’État-tampon », banc d’essai de toutes les contradictions régionales, pour reprendre l’expression inventée par le politologue Georges Corm [^3].
C’est dire que les élections législatives libanaises se joueront à l’intérieur de la communauté chrétienne, toujours confrontée au « nœud maronite ». Le 13 juin 1978, en assassinant le député Tony Frangié, sa femme, Jihane, leur petite fille, Véra, âgée de 3 ans, et une trentaine d’habitants du village d’Ehden, les phalangistes de Bachir Gemayel inauguraient les guerres interchrétiennes. Loin d’être desserré, le nœud maronite oppose toujours la nouvelle génération phalangiste
(les Forces libanaises de Samir Geagea, qui dirigea l’attaque d’Ehden), alliée aux États-Unis et aux services secrets israéliens, aux « Arabes chrétiens » de Michel Aoun et de Sleiman Frangié, le survivant – fils de Tony, qui avait 13 ans à l’époque de la tuerie d’Ehden.
La dernière ligne droite de la campagne a été balisée par trois événements majeurs. Le premier a vu la libération des quatre généraux inculpés par le Tribunal international chargé d’enquêter sur l’assassinat de Rafic Hariri. Disculpant de fait la Syrie, qui avait été directement mise en cause par le premier juge international Detlev Mehlis, cette libération donne raison à l’opposition qui privilégie la piste salafiste, voire saoudienne. Le deuxième concerne une série d’arrestations d’espions travaillant au Liban à la solde des services secrets israéliens, nouveau coup de pouce donné à l’opposition, qui dénonce depuis longtemps l’activisme du Mossad au Pays du cèdre. Enfin, le dernier, plus étrange, s’exprime à travers un « scoop » de l’hebdomadaire allemand, Der Spiegel, affirmant que la piste de l’assassinat de Rafic Hariri ramène… au Hezbollah (voir ci-dessous).
Quoi qu’il en soit, les États-Unis, l’Union européenne et la France ont d’ores et déjà annoncé qu’ils respecteraient le résultat de l’élection quel qu’il soit, contrairement à ce qui fut fait après la victoire du Hamas en Palestine (janvier 2005) et celle du Front islamique du salut (FIS) en Algérie en décembre 1991.
[^2]: Cité par le New York Times du 29 mai 2009.
[^3]: L’Europe et le mythe de l’Occident. La construction d’une histoire, Georges Corm, La Découverte.