De moins en moins de droit du travail

Avec une législation très favorable à la libre concurrence, le traitement des questions sociales par l’Union européenne est de plus en plus défavorable aux salariés.

Thierry Brun  • 4 juin 2009 abonné·es

Le droit du travail est sans doute la valeur la moins partagée par l’Union européenne. Ce droit a été progressivement miné par les traités, les lois européennes, les accords internationaux de libre-échange. Surtout, la jurisprudence de la Cour de justice européenne utilise cette législation pour conforter la politique de la concurrence relevant de l’Union, au détriment des politiques sociales restant de la compétence des États membres.
« Ce n’est dès lors pas un hasard si la Commission européenne parle depuis 2005 de “moderniser le droit du travail”, c’est-à-dire de faire en sorte que son socle, le contrat de travail, repose à nouveau sur le droit civil, sanctifiant de facto la toute-puissance de l’employeur », remarque la Fondation Copernic [^2]. Par exemple, un règlement européen de juin 2008 « sur la loi applicable aux obligations contractuelles » (593/2008) entrera en vigueur en décembre 2009 et modifiera profondément le champ du droit du travail en faisant en sorte que le contrat de travail soit régi par la loi que choisissent les parties. Ce principe contient en germe un risque de dumping social, notent quelques juristes qui rappellent qu’une directive de 1996 sur le détachement de travailleurs dans le cadre d’une prestation de services laisse déjà la place à de nombreuses pratiques de dumping.

Le traitement des questions sociales par l’UE est de plus en plus défavorable aux salariés, comme cela apparaît particulièrement dans Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle, un Livre vert émanant de la Commission. Ce document publié fin 2006 a donné lieu à une simple communication en 2007 (« Vers des principes communs de flexicurité »), dans l’attente de la publication d’un Livre blanc, prélude d’un projet de directive. La proximité des élections européennes n’est sans doute pas étrangère à la mise en sommeil de cette initiative, dans laquelle on estime que le marché du travail serait « trop protégé » et dont l’objectif est d’imposer un « autre modèle contractuel » . « On reconnaît là l’habituelle doxa néolibérale en matière d’emploi, alors même qu’aucune étude n’a pu mettre en évidence un lien entre le niveau de protection de l’emploi et le chômage » , relève l’association altermondialiste Attac [^3].
Surtout, quatre arrêts de la Cour de justice européenne, rendus en 2007 et en 2008, ont porté « un coup sévère tant à la possibilité des salariés de mener des actions collectives qu’à celle d’exiger des conditions égales de salaire et de travail » , souligne encore Attac. Les arrêts de la Cour tranchent en faveur de la « liberté d’établissement » et de la « libre prestation des services », considérées comme des libertés fondamentales garanties par les traités.
La Cour de justice européenne crée une situation juridique nouvelle en indiquant que les États sont « tenus de respecter le droit communautaire même dans des domaines ne relevant pas de l’application des traités ». C’est ainsi que le détricotage de l’ensemble des droits sociaux est organisé.

[^2]: Face aux crises, une autre Europe, note de la Fondation Copernic, éditions Syllepse, 134 p., 8 euros.

[^3]: Lire L’Europe à quitte ou double, Attac, éditions Syllepse 158 p., 7 euros.

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