Guy Bedos : « J’ai été courtisé par le teckel à poil dur »
Comédien, artiste de music-hall, Guy Bedos est un humoriste engagé.
Il dresse ici un état des lieux de son métier face à la politique.
L’humour, estime-t-il, a le pouvoir de consoler et de venger.
dans l’hebdo N° 1057 Acheter ce numéro
Politis : Comment voyez-vous le métier d’humoriste ?
Guy Bedos I Je ne peux pas avoir une vision unique parce que je suis un humoriste engagé. Chez moi, ce n’est pas ringard, et j’emmerde ceux qui pensent que ça ne se fait plus. Quand j’ai débuté ce métier, j’ai commencé par me cacher derrière des personnages. C’était le cas pour « Vacances à Marrakech », un sketch contre le racisme. Après, j’ai connu un double chagrin, la séparation avec ma femme et l’élection de Giscard d’Estaing. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à parler à la première personne, et à parler de politique sur scène, entre deux sketches, deux personnages. Le public a aimé ça. Enfin, ça ne veut rien dire, le public, c’est comme si on disait les Français. En tout cas, le public qui venait me voir a apprécié. Puis c’est devenu une institution dans mes spectacles, pour lesquels j’écrivais mes fameuses fiches, comme une revue de presse de l’actualité. D’une certaine manière, m’a dit Jamel Debbouze, j’ai introduit le stand-up. Aujourd’hui, j’ai pris la mesure de mon impuissance à changer le monde. J’essaye de faire du drôle avec du triste. Parfois, c’est tellement triste que je n’ai plus envie d’y toucher.
L’humour serait-il une cause désespérée ?
La seule définition de l’humour acceptable – parce que vouloir le définir, c’est prendre le risque d’en manquer – ce serait « la politesse du désespoir ».
Le rôle d’un humoriste est-il seulement de faire rire ?
Pas forcément. Quand Chaplin touche au monde du travail, avec les Temps modernes, il fait rire. Par politesse, dirais-je, tout en parlant des conditions de travail. Ça n’empêche pas les gens de se suicider dans les usines. Nous ne sommes pas des visionnaires. On tend le miroir, c’est tout. Et quand on a la chance de pouvoir s’exprimer, faut pas se gêner ! Certes, on ne change pas le monde. On console, parfois on venge. À un moment, je m’étais pompeusement autoproclamé haut-parleur des anonymes ! In fine , j’ai fini par comprendre que ceux qui appréciaient mon humour étaient déjà des convaincus…
Quel regard portez-vous sur les humoristes aujourd’hui ?
Je suis beaucoup plus tolérant qu’on ne le croit. Et pour différentes raisons, de génération, d’ambiance et de personnalité, j’observe qu’on peut faire rire sur scène sans parler de Sarkozy. J’ai fait un spectacle avec Muriel Robin. Elle ne comprend rien à la politique, mais elle reste drôle. J’ai évidemment beaucoup d’affinités avec Alévêque, Guillon et Porte, dont je suis le « parrain ». Ceux qui me gênent sont ceux qui vont carrément vers la droite, comme certains imitateurs, de simples comiques. Avec Pierre Desproges, on ne partageait pas les mêmes idées. C’était un anar plutôt de droite, je suis plutôt un libertaire de gauche, mais on s’entendait parfaitement. On partageait une amitié de copains de bahut, une complicité très forte. Le talent fait toujours la différence.
Justement, il y a cette fameuse formule de Pierre Desproges : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui ! »…
C’est une très bonne formule, que je me suis appropriée. Il s’agit de tenir compte du public, des lieux, du prix des places aussi, qui change le profil du public.
Votre métier peut-il se passer d’engagement ?
Chez moi, il n’en est pas question. C’est aussi pour cela que je soutiens le DAL, le Réseau éducation sans frontières, et que je suis délégué à la Ligue des droits de l’homme. Sur scène, cela peut prendre différentes formes. Prenez, par exemple, Jamel Debbouze. Il est un acte politique à lui tout seul. Quand il joue le rôle d’un petit Arabe qui se sauve parce qu’il a vu les flics et qu’il a peur, il annonce Clichy-sous-Bois et les deux garçons qui sont allés s’électrocuter dans un transformateur. Jamel n’a même pas besoin de citer de noms, de politiques.
Vous signez des billets d’humeur dans Siné Hebdo. Comment s’est passée votre arrivée au journal ?
Je connais Siné depuis longtemps, depuis ses 20 ans ! Au reste, je dois plus aux dessinateurs humoristiques qu’aux comiques de scène. Je ne partage pas tous les excès de Siné, dans la forme notamment, mais je le soutiens, je l’ai soutenu dans l’affaire Val. C’est donc tout naturellement que j’écris de temps en temps dans son journal, et avec plaisir, en bonne compagnie. Bon, maintenant que Charlie est débarrassé de Val, Charlie va peut-être redevenir Charlie !
Quelles seraient les limites de l’humour ?
Pour ma part, c’est une certaine éthique personnelle. Je n’ai pas envie de m’attaquer à Jeanne Moreau parce qu’elle a quelques années de plus qu’au moment de tourner Jules et Jim . Je m’éloigne largement d’un Laurent Gerra, voyez-vous… C’est un discours que je tiens à Stéphane Guillon, dont je me sens très proche : ne te trompe pas de cible. Il faut attaquer les gens dangereux. Ce n’est pas la peine de faire une heure sur Laurence Ferrari, mais plutôt attaquer ceux qui sont derrière, les patrons, les méchants. Ce qui est beaucoup plus excitant.
Faut-il être méchant quand on fait de l’humour ?
Il faut être méchant avec les méchants ! Il n’y a que les cons qui ne comprennent pas ça ! On dit que l’humour est une langue étrangère, et que pour certains, il faudrait ajouter des sous-titres…
Quelles sont les grandes colères qui vous animent aujourd’hui ?
Je suis un homme de gauche, et donc très en colère contre ceux qui sont censés être la gauche représentative. Il faudrait qu’ils en terminent avec leurs petites querelles politiciennes. Je suis étonné par le manque de consistance et de fidélité à eux-mêmes de certains. Que Kouchner ait des comptes à régler avec le Parti socialiste, c’est son droit. Mais comment fait-il avec lui-même, devant son miroir ? Personnellement, à l’occasion de deux ou trois déjeuners en tête-à-tête, j’ai été courtisé par le teckel à poil dur quand il était encore ministre de l’Intérieur. Je n’ai pas eu une énorme influence sur lui ! Il me donnait pourtant raison sur tout ! J’étais son Kouchner du spectacle, ou plutôt, il l’aurait voulu. Il aurait voulu que je sois à la Concorde avec les autres cons !
Avez-vous l’impression que l’étau se resserre dans les médias, en termes de liberté d’expression ?
Vous pensez ! Il y a une telle berlusconisation ! On voit bien que Nicolas Sarkozy est persuadé d’avoir acheté le pays et les médias. Tous ses copains possèdent de grands journaux, sont à la tête des plus importants groupes de médias, ou bien ce sont des complices, des agents qui ne comptent pas lui déplaire. J’ai connu ça sous Giscard. Ce n’était pas lui qui téléphonait directement pour m’interdire d’antenne, de passer dans telle ou telle émission. C’est toujours plus subtil que ça. Il y a des journalistes qui ont appris leur métier à l’école hôtelière. Ils posent des questions comme on passe les plats. Ils sont nombreux à être des laquais. Cela dit, Tom Pouce est assez malin pour ne virer personne, et ça m’étonnerait qu’on fasse le ménage de façon spectaculaire. Je songe à Christophe Alévêque, à Stéphane Guillon, à Didier Porte notamment, parce qu’en dehors d’eux, le ciel est un peu vide.
Quels rapports entretenez-vous avec les médias ?
Cela dépend des gens. Quand j’étais black-listé, McCarthyrisé, des gens comme Michel Drucker et Jacques Chancel m’ont encore invité. Et ce ne sont pas des Che Guevara ! Beaucoup d’autres craignaient pour leur boulot, ce que je peux comprendre… En tout cas, aujourd’hui, je suis plutôt classé X. Je passe à 2 heures du matin ! C’est beaucoup plus sournois qu’avant. On ne m’interdit pas, mais on me déporte ! La scène est le dernier espace de liberté qu’il nous reste. Il n’y a pas encore, comme au temps de Lenny Bruce, des flics qui nous attendent à la sortie du spectacle pour nous conduire au poste. Même si l’on se fait connaître par la télévision, la scène reste le territoire suprême.