Histoire : « Destins croisés » de Michel Warschawski

Denis Sieffert  • 11 juin 2009 abonné·es

Les romanciers n’aiment guère, en général, que l’on qualifie leur œuvre de didactique. Peut-être parce que la réalisation d’une œuvre littéraire n’est pas son but premier, Michel Warschawski ne prendra sans doute pas ce qualificatif en mauvaise part. Au sens propre, son roman est destiné à « instruire ». Il s’adresse aux jeunes et à tous ceux qui veulent remonter aux racines du conflit israélo-palestinien, jusqu’aux temps où il était encore judéo-arabe. Bref, il s’adresse à tous ceux qui veulent comprendre l’actualité et que la lecture d’un journal, et même d’un livre centré sur une séquence de l’histoire, ne peut combler. Pour cela, Warschawski a choisi une forme romanesque simple, fluide et imagée. En un mot, humaine. Les épisodes de cette longue, longue histoire s’incarnent dans des hommes et des femmes pleins de vie et d’authenticité. Mais les grandes données historiques sont là. Les chiffres, les dates, les textes ne font jamais défaut. Le roman manié par le militant anticolonialiste israélien que l’on connaît offre un autre avantage. Il se présente comme un puzzle historique. Il y a Abu Ahmad, le fellah palestinien de Birwi, près de Saint-Jean d’Acre, menacé de perdre son travail. Nous sommes sous l’empire ottoman finissant. Il y a Arie Leib Friedman, le juif polonais pauvre et pieux qui voit monter la rumeur des pogroms antisémites dans la Moldavie toute proche. Et, plus loin à l’Ouest, de l’affaire Dreyfus. Il y a Yossef, tôt parti de Pologne pour fonder en Palestine le premier kibboutz, à Degania, sur les bords du lac de Tibériade. Peu à peu, le puzzle prend forme. Ces destins que tout séparait vont converger, hélas, vers la même terre. C’est la grande révolte arabe de 1936. En Europe, c’est la montée du nazisme, puis le génocide. Puis, bientôt, la grande migration des rescapés et la « Nakba », la catastrophe qui s’abat sur la population arabe contrainte à l’exil. Nous quittons alors la préhistoire du conflit pour entrer peu à peu dans sa configuration actuelle : Israël et les territoires palestiniens occupés. Nous irons ainsi jusqu’au seuil de la deuxième Intifada, et la visite provocatrice d’Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées de Jérusalem, le 30 septembre 2000. Le mérite de ce récit en forme de puzzle est de restituer parfaitement le tragique de l’histoire. Il y a tragédie, au sens antique, parce qu’il n’y a d’abord que des victimes précipitées les unes contre les autres par des circonstances auxquelles elles sont étrangères. Car c’est le plus souvent dans la violence que les destins se croisent. Le mérite de Warschawski est de préserver la simplicité de la forme sans avoir jamais sacrifié la complexité de la réalité.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »
Entretien 20 novembre 2024 abonné·es

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »

Pour Politis, l’ancien secrétaire général de la CGT revient sur le climat social actuel, critique sévèrement le pouvoir en place et exhorte les organisations syndicales à mieux s’adapter aux réalités du monde du travail.
Par Pierre Jacquemain
Thiaroye, un massacre colonial
Histoire 20 novembre 2024 abonné·es

Thiaroye, un massacre colonial

Quatre-vingt ans après le massacre par l’armée française de plusieurs centaines de tirailleurs africains près de Dakar, l’historienne Armelle Mabon a retracé la dynamique et les circonstances de ce crime odieux. Et le long combat mené pour briser un déni d’État aberrant.
Par Olivier Doubre
L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes
Intersections 19 novembre 2024

L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes

La comédienne Juliette Smadja, s’interroge sur la manière dont les combats intersectionnels sont construits et s’ils permettent une plus grande visibilité des personnes concernées.
Par Juliette Smadja
États-Unis, ramène la joie !
Intersections 13 novembre 2024

États-Unis, ramène la joie !

La philosophe, professeure à l’université Paris VIII et à la New-York University, revient sur les élections aux Etats-Unis et examine l’itinéraire de la joie dans un contexte réactionnaire : après avoir fui le camp démocrate, c’est désormais une émotion partagée par des millions d’électeurs républicains.
Par Nadia Yala Kisukidi