Il faut sauver Artisans du monde !
La fédération Artisans du monde doit faire face à de graves difficultés financières. Ce qui n’entame pas sa volonté de faire vivre un commerce alternatif.
dans l’hebdo N° 1057 Acheter ce numéro
Un grave péril menace Artisans du monde. Solidar’monde, la centrale d’achat du réseau de commerce équitable, voit ses comptes plonger dans le rouge pour la troisième année consécutive, et les ventes stagnent sur la même période. Selon Jean-Marc Brunet, arrivé à la direction de Solidar’monde il y a deux mois, « un quatrième exercice déficitaire n’est tout simplement pas envisageable ».
La faute à la crise mondiale ? Pas seulement, même si elle n’a rien arrangé. Il faut remonter à 2005 pour comprendre la situation actuelle. Cette année-là, les quelque 140 associations Artisans du monde votent en assemblée générale une décision capitale : refuser la compromission avec la grande distribution et développer une filière équitable de bout en bout, du producteur au distributeur (les boutiques du réseau, principalement) en passant par les importateurs. Ce choix d’une filière intégrée est en cohérence avec les fondements politiques du mouvement, qui dénonce les règles du commerce international et entend édifier un réseau commercial alternatif.
En 2006, le mouvement s’engage financièrement : la fédération devient actionnaire majoritaire de Solidar’monde avec 51 % du capital. Les associations locales et des bénévoles prêtent plus de 350 000 euros à leur tête de réseau pour le rachat des parts. La notoriété croissante du commerce équitable et le plan de développement des ventes (aménagement des boutiques, embauche de salariés) laissent espérer une croissance annuelle de 6 % du chiffre d’affaires. « Nous avons été trop optimistes au moment du rachat de Solidar’monde » , regrette Françoise Soldati, d’Artisans du monde Montpellier.
Non seulement les ventes n’atteignent pas les niveaux escomptés (2,6 % de croissance entre 2005 et 2008 avec une baisse de 3,41 % sur l’année 2006-2007), mais le déficit se creuse du fait de l’augmentation de la masse salariale et des frais de fonctionnement (voir ci-dessous). Selon un document produit lors d’une assemblée générale extraordinaire convoquée en janvier 2009, la fédération Artisans du monde ne découvre que tardivement l’ampleur des difficultés, signe d’un défaut de vigilance.
L’assemblée générale qui se déroulera les 20 et 21 juin à Metz s’annonce tendue, même si Stéphane Le Borgne, le président de la fédération, souhaite relativiser : « Nous sommes face à des enjeux classiques de la vie démocratique de notre mouvement. La situation de Solidar’monde demande des ajustements économiques, il y a un certain nombre de votes sur la démocratie interne, et il faut définir les enjeux de développement sur trois ans. » Du côté des associations locales, la solidarité face aux enjeux est partagée avec une forte inquiétude : « La priorité est de sauver notre centrale d’achats, car si elle se casse la figure, on ne peut plus avancer » , insiste Francis Cluzel, président de l’association locale de Nevers. « Nous avons la volonté de transformer le commerce. Nous sommes des militants, nous avons un conseil d’administration, mais il faut être au fait des réalités commerciales aussi. Pour cela, il faut trouver la bonne articulation entre une autonomie de gestion de la centrale et l’amélioration de l’information auprès du mouvement et des associations locales » , résume Marie-France Franqueville, d’Artisans du monde Briançon.
L’une des voies envisagées est la transformation en société coopérative d’intérêt collectif (Scic). Le projet est à l’étude depuis quelques mois et fera l’objet d’un « vote de tendance » afin de déterminer la position du mouvement. Le principe du multisociétariat qu’incarne la Scic apparaît comme une solution aux questions de gouvernance, mais il faudra attendre le redressement de Solidar’monde avant tout changement de statut.
Le consensus reste fort sur un point : « Il n’y a pas de remise en cause, en tant que telle, de la filière intégrée » , résume Stéphane Le Borgne, qui ajoute : « Nous devrons être plus clairs sur nos différences. Notre objectif est de construire un commerce équitable, pas uniquement de vendre des produits étiquetés équitables. »