Iran : « Une partie du régime s’est soulevée »

Selon Thierry Coville*, chercheur spécialiste de l’Iran, la modernisation de la société mais aussi le bilan économique d’Ahmadinejad sont les principales causes de la défaite des conservateurs.

Denis Sieffert  • 25 juin 2009 abonné·es
Iran : « Une partie du régime s’est soulevée »
© * Thierry Coville est chercheur associé à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), professeur à Negocia (école de commerce). Il est l’auteur d’Iran, la révolution invisible, La Découverte 2007.

Politis : On parle de deux Iran, celui qui est dans la rue et celui qui défend Mahmoud Ahmadinejad. Qui trouve-t-on dans ce second groupe ?

Thierry Coville I Il est très minoritaire et lié au clientélisme. Parmi ceux qui soutiennent Ahmadinejad, on retrouve certains pasdarans (les gardiens de la révolution islamique, NDLR), les fondations religieuses, les bassidji (les « miliciens volontaires », NDLR), les familles de martyrs, même s’il n’y a jamais d’unicité dans ces groupes-là. J’ai toujours assimilé Ahmadinejad à l’extrême droite. Son soutien populaire est assez limité.

Vous pensez que le soutien qu’il a pu obtenir pendant la campagne électorale dans les zones rurales, les faubourgs, s’est délité du fait de la faiblesse de son propre discours politique ?

Son nationalisme, son intransigeance vis-à-vis des pays occidentaux, notamment en ce qui concerne la question nucléaire, a eu un certain succès avant l’élection. L’élection était un test pour lui. Peut-être Mohsen Rezaï (autre candidat ultraconservateur) a-t-il marché un peu sur ses plates-bandes, mais j’ai vu des résultats où il n’est même pas au deuxième tour. Sa base populaire, qui se situe plutôt dans un Iran rural, très religieux, très sensible à son nationalisme et à son anti-occidentalisme, a donc diminué en cours de route.

Cet Iran rural, on ne le voit évidemment pas manifester à Téhéran ou dans les grandes villes. Soutient-il toujours Ahmadinejad ?

L’Iran est à 70 % urbain… Et, de plus, je ne pense pas qu’Ahmadinejad ait fait le plein des voix dans les campagnes. Tout son discours populiste, assez radical sur le plan de l’ordre moral, ne passe pas toujours, même dans les campagnes. La modernisation de la société concerne aussi des régions très rurales comme le Seistan et le Baloutchistan. Par exemple, de plus en plus de jeunes filles de ces régions vont aujourd’hui à l’université…

Comment expliquer l’engagement extrêmement net de Khamenei, le « Guide suprême », en faveur d’Ahmadinejad ? Ne prend-il pas un risque en quittant sa posture de grand arbitre ?

Chaque fois en pareille circonstance, Khamenei a soutenu les conservateurs. Depuis l’élection de Mohammad Khatami, en 1997, que ce soit pour l’interdiction des candidatures des députés en 2004, pour la loi sur la presse, Khamenei est toujours intervenu du même côté. Il a écarté les conservateurs modérés et se retrouve avec les conservateurs traditionnels et l’extrême droite. Il a pu entendre un certain nombre de voix d’extrême droite qui lui ont dit qu’il ne fallait pas laisser le champ libre à Moussavi.

Mais, alors, pourquoi avoir accepté sa candidature ?

Il était impossible pour le régime de refuser la candidature de celui qui fut le Premier ministre des années 1980. Personne ne pouvait dire qu’il n’est pas révolutionnaire. Peut-être ont-ils cru pouvoir faire comme avec Khatami, qu’ils avaient étouffé politiquement une fois que celui-ci avait accédé à la présidence. Peut-être ont-ils aussi sous-estimé l’écart entre Moussavi et Ahmadinejad dans les urnes.
La contestation ne vient-elle pas d’abord de l’intérieur du régime ?
En effet, ce n’est pas la population qui s’est soulevée contre le régime, c’est une partie du régime qui s’est soulevée contre une autre, et qui a reçu le soutien d’une population. Celle-ci a profondément évolué depuis trente ans. Dans un sens, c’est la fin du régime tel qu’on l’a connu jusqu’à maintenant. La composante démocratique est en train de tenter de s’affirmer.

Quel est le bilan économique de l’ère Ahmadinejad ? Les gens se sont-ils appauvris ?

L’inflation a doublé, elle était à 11 % sous Khatami ; elle est passée à 20 % sous Ahmadinejad. Cette accélération de l’inflation a rogné sur le pouvoir d’achat d’une importante partie de la population iranienne, notamment les ouvriers. Il a augmenté les salaires des fonctionnaires, des retraités. Il a eu énormément plus de recettes qu’il n’y en avait eu sous Khatami, puisque le prix du pétrole a augmenté, et il a dépensé sans compter, sans expertise professionnelle. Il a gaspillé l’argent du pétrole par clientélisme. Le problème du chômage n’a pas été réglé. Officiellement, il est à 12 %. Sans doute beaucoup plus. Certes, ces problèmes ne sont pas nés avec Ahmadinejad, mais lui s’était engagé sur un programme de justice sociale. Si on compare ses objectifs, les moyens dont il disposait, et le résultat, le bilan est mauvais.

La question de la bombe et celle du nucléaire civil font-elles clivage ou, comme le dit Obama, Moussavi défend-il les mêmes positions qu’Ahmadinejad ?

Le nucléaire est sans doute un des rares sujets où il y a une certaine cohésion nationale. Avec Moussavi, l’Iran n’aurait pas dit tout à coup aux Occidentaux : « Vous avez raison… » En revanche, Moussavi présente une manière d’aborder le monde extérieur complètement différente d’Ahmadinejad. Il ne voit pas les Occidentaux comme des ennemis. Il considère que les attaques d’Ahmadinejad envers Israël sont une atteinte à l’honneur de l’Iran. Sa politique étrangère serait beaucoup plus rationnelle, beaucoup plus modérée, il ne jouerait pas du tout sur l’anti-occidentalisme. Le problème nucléaire reste à régler, mais on peut penser que ce serait beaucoup plus facile, notamment pour les Américains, de négocier avec Moussavi qu’avec Ahmadinejad.

Monde
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