Le joker de la France
La succession d’Omar Bongo ne se fera pas sans que Paris donne son avis. Entre la fille et le fils du Président, le débat est ouvert.
dans l’hebdo N° 1058 Acheter ce numéro
Lors des obsèques d’Omar Bongo, l’une des premières personnalités à déposer une gerbe de fleurs sur le cercueil fut le directeur général de Total. En ville, bien qu’invisible aux yeux des journalistes, Loïc Le Floch-Prigent, l’ancien patron du pétrole franco-mondial, était auparavant venu saluer une dernière fois son très cher disparu. Double hommage de l’or noir au président défunt. Histoire sans doute de vérifier que les Chinois, représentés à la cérémonie par leur vice-Premier ministre, n’allaient pas profiter de l’occasion pour prendre une option sur les gisements pétroliers alors qu’ils sont déjà très présents, notamment dans l’exploitation inconsidérée du bois, dans ce petit pays qui compte moins d’un million et demi d’habitants, dont un tiers habitent à Libreville, la capitale d’une nation de 260 000 kilomètres carrés.
Nicolas Sarkozy, hué sur commande à l’intérieur du palais présidentiel, a joué le bel indifférent aux lazzis : il a attribué aux journalistes français la mauvaise humeur de la famille Bongo, qui n’apprécie guère d’être poursuivie par la justice française pour une accumulation de propriétés qui auraient été acquises sur le budget gabonais. Le plus mécontent serait Ali, fils préféré du despote disparu et ministre de la Défense depuis dix ans, après avoir été autrefois ministre des Affaires étrangères. Ce qui lui a permis, comme à d’autres membres de la famille « régnante », d’accumuler quelques biens en France : notamment un appartement avenue Foch et quelques belles voitures, dont une Ferrari. Un véhicule qu’il a notamment conduit lors de sa dernière rencontre avec Nicolas Sarkozy en décembre 2008. Ce n’était pas le premier entretien avec le président français. Depuis quelques années, il mène un discret concours d’entrevues avec Nicolas Sarkozy contre sa sœur Pascaline, qui se vante de l’avoir rencontré « sept ou huit fois » – elle ne sait plus trop – depuis 2002.
Joker de la France au Gabon, Pascaline offre l’avantage, explique l’entourage du ministre des Affaires étrangères français, d’être moins « rustique » que son cadet car elle sort de l’ENA et de l’université de Paris-Dauphine. Ce n’est pas un brevet de penchant démocratique, mais ses diplômes lui donnaient une redoutable efficacité comme directrice de cabinet de son président de père depuis quinze ans, et elle tenait régulièrement informé l’Élysée de l’état de santé d’Omar Bongo. Une façon comme une autre de faire « oublier » qu’elle est depuis longtemps la gestionnaire des multiples sociétés immobilières et autres créées par le défunt.
Cette femme de 51 ans, qui n’hésite jamais à laisser entendre à ses interlocuteurs français à quel point son pays « intéresse » les Chinois, a plutôt les faveurs de l’Élysée estimant qu’elle constituerait une succession familiale moins voyante. Elle aurait aussi le soutien des Américains : pour le pétrole, bien sûr, mais aussi parce que ces esprits simples évaluent sa capacité de résistance à l’islam par le fait qu’elle est la seule de sa famille à avoir conservé un prénom chrétien quand le père s’est converti à l’islam. En revanche, ce qui reste des réseaux Foccart de la Françafrique, le discret avocat Robert Bourgi, milite pour un coup de pouce à Ali, qui offre l’avantage de n’avoir aucun penchant connu pour la démocratie et d’être un acheteur potentiel d’armes à la France. Lesquelles peuvent être utiles pour défendre le pays si les 800 militaires français de la base de Libreville ne suffisaient pas. Même s’ils ne sont pas aussi puissants que les mercenaires qui « protègent » les affaires de Total au Gabon. Ils participeront activement au soutien d’Ali Bongo et non pas à celui de sa sœur, dont ils se méfient.
L’une ou l’autre des solutions ne risque guère de changer le revenu de plus de 80 % des Gabonais qui, malgré la manne pétrolière procurant un produit intérieur brut de 3 300 euros par habitant, se situent en dessous du seuil de pauvreté, les citadins étant les plus défavorisés, avec un revenu inférieur à un euro par jour.