L’Europe du désintérêt populaire
Dans un scrutin marqué par une abstention record, la droite fait plus que maintenir ses positions en Europe. La social-démocratie ne profite pas de la crise et recule.
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La construction européenne ne fait pas rêver. Parmi les 388 millions d’électeurs appelés aux urnes, ils ont été encore moins nombreux, cette année, à se déplacer pour élire leurs représentants au Parlement européen. Ce scrutin, marqué par une désaffection civique croissante qu’aucune élection n’a jamais démentie, enregistre donc un nouveau record d’abstention avec un peu plus de 57 %. Encore ne s’agit-il que d’une moyenne… Car le désintérêt des citoyens culmine à plus de 72 % en Slovénie, en République tchèque, en Pologne et en Roumanie. L’abstention atteint même 79,1 % en Lituanie et 80,4 % en Slovaquie.
Cette indifférence, qui traduit autant le désenchantement ou la sourde protestation des peuples à l’égard de la construction européenne que leur accablement face à la crise, constitue la principale donnée du scrutin. Elle n’affecte toutefois en rien la marche des institutions communautaires, qui ont pris depuis longtemps l’habitude de l’ignorer et s’en accommodent fort bien. Elle offre en revanche à la droite européenne une victoire par défaut.
Les partis de droite en Europe confortent en effet leur emprise politique sur le continent malgré un soutien populaire très relatif : 13,3 % des inscrits pour la CDU en Allemagne, pays qui envoie le plus gros contingent d’élus à Strasbourg. Aux commandes de 21 État membres sur 27, les listes se réclamant de la droite conservatrice et libérale arrivent en tête dans la plupart des pays (voir carte). Regroupées au sein du Parti populaire européen (PPE), elles confortent ce groupe comme la principale force politique de l’hémicycle, avec 263 des 736 sièges, soit 35,7 % des élus, presque autant en proportion que dans Parlement sortant.
Si l’on y ajoute une cinquantaine d’eurodéputés de droite britanniques, polonais et tchèques, qui entendent former un groupe distinct et plus eurosceptique, cette suprématie est encore plus nette. Et avec les souverainistes et nationalistes, le parlement de Strasbourg penche très nettement du côté conservateur. Ce bloc, sans homogénéité, devrait compter 150 élus contre une centaine dans l’Assemblée sortante. Avec parfois des scores préoccupants : en Hongrie, le parti nationaliste et xénophobe Jobbik perce à 14,8 % (3 élus) ; le parti des « Vrais Finlandais » pointe à 6,1 % (1 élu) ; l’extrême droite autrichienne (FPÖ, 2 élus, et BZÖ) frôle les 18 %, et la Lega Nord italienne atteint près de 10 % (8 élus), etc.
Les droites européennes et les libéraux-démocrates – l’Alde, 3e groupe du Parlement devrait conserver 80 députés – profitent du recul quasi général des partis socialistes et sociaux-démocrates affiliés au PSE. Ces derniers se présentaient unis derrière un programme commun, le Manifesto, et persuadés que la crise du capitalisme allait leur donner des ailes. C’est le contraire qui s’est produit. Deuxième groupe du Parlement, le PSE devrait passer de 217 à 162 membres. Un reflux qui traduit la crise identitaire de la social-démocratie européenne. Le modèle de la « troisième voie » entre socialisme et libéralisme, incarné jadis par Tony Blair et Gerhard Schröder, est en bout de course sans qu’aucune stratégie de remplacement n’émerge.
Dans les pays qu’ils dirigent, ces partis de centre-gauche ont été sanctionnés par les électeurs. Si la défaite du PSOE de Zapatero (38,5 %), devancé par le Parti populaire (42,2 %), est honorable, certaines déroutes sont plus cuisantes. Avec 15,3 %, les travaillistes britanniques enregistrent leur plus mauvais score depuis 1918. Le recul est particulièrement sévère pour le Parti socialiste portugais, qui perd près de 20 points en cinq ans.
Les formations du PSE pâtissent de leur participation à des gouvernements dirigés par les conservateurs en Allemagne, en Autriche ou aux Pays-Bas – le Parti travailliste y est devancé par un parti populiste de droite, anti-européen, qui obtient 17 %. Elles ne profitent pas non plus de la crise là où elles sont dans l’opposition. C’est le cas en France (voir p. 8) mais également en Italie, où le Parti démocrate fait moins bien que la coalition de l’Olivier en 2004, tandis que les sociaux-démocrates suédois restent stables, à l’un de leur plus bas niveau historique.
À l’exception de la Grèce, où le Pasok de Georg Papandreou, le président de l’Internationale socialiste, devance la Nouvelle Démocratie des conservateurs au pouvoir, et de Malte, le PSE n’a guère de motifs de satisfaction. Le Parti social-démocrate slovaque, arrivé en tête (32 %), est le mouton noir du PSE depuis qu’il gouverne le pays avec des formations nationalistes et xénophobes. En Roumanie, les sociaux-démocrates ne sont qu’à deux dixièmes des démocrates libéraux, avec qui ils gouvernent. En Lettonie, c’est une gauche nationaliste, non affiliée au PSE, qui domine. Enfin, arrivé en tête, le Parti social-démocrate danois du président du PSE, Poul Nyrup Rasmussen, perd un tiers de son électorat.
Les sociaux-démocrates ne paient pas seulement l’apathie de l’électorat populaire qui traditionnellement votait pour eux. Ils sont aussi confrontés à une poussée de la gauche radicale. Sensible au Danemark – le Parti socialiste populaire obtient 16 % –, au Portugal, où le Bloc de gauche (3 sièges) et l’alliance Verts-communistes (2 sièges) totalisent 21,4 %, en Allemagne avec les 7,5 % de Die Linke (8 sièges) ou en France, cette poussée ne parvient toutefois pas à compenser les pertes des sociaux-démocrates.
Celle des Verts, non plus. Si leur groupe s’étoffe en passant de 44 à 51 ou 52 députés, l’objectif de 60 élus n’est pas atteint. Et, surtout, c’est essentiellement en France que les écolos progressent, en y gagnant leurs 8 élus supplémentaires.