Plus de bio, c’est pas forcément écolo
Faire bondir la bio à 20 % des surfaces cultivées et des produits servis en restauration collective pour 2012 : le défi du Grenelle de l’environnement ne pourra être gagné qu’au prix d’importations massives.
dans l’hebdo N° 1055 Acheter ce numéro
Un minimum de 20 % de produits bios dans les repas de la restauration collective en 2012 : pour tenir ce cap fixé par le Grenelle de l’environnement, il faudrait multiplier par 20 les achats en bio d’un secteur qui livre plus de 3, 5 milliards de repas par an !
La France, à l’évidence, est loin d’être prête, mais qu’à cela ne tienne. Vendredi dernier, l’Agence bio, chargée de la promotion et du développement de la bio, annonçait, réjouie, les résultats d’une étude auprès des responsables de restaurants collectifs : un tiers propose déjà des produits bios de temps à autre, et 71 % entendent le faire à l’horizon 2012. L’enquête interrogeait : quels produits souhaitent-ils voir à table ? « Nous avons fréquemment des difficultés d’approvisionnement sur les produits que nous demandons, a répondu Nathalie Beugnot, chargée de la bio au CCC France, association de régies locales de restauration collective. Mais peut-être devrait-on d’abord se renseigner sur ce que peuvent fournir les agriculteurs locaux… »
*
Privilégier les filières régionales : un réflexe de bon aloi pour des régies souvent municipales et de taille modeste. Mais voilà mis face à face des acteurs n’ayant quasiment aucune pratique commune et peu de connaissances de leurs contraintes respectives.
L’état des lieux n’est pas reluisant : alors que la France était en tête de la production bio en Europe (exportatrice, même), elle importe aujourd’hui 30 % des produits bios qu’elle consomme, et même 60 % pour les fruits et légumes, produits les plus introduits en restauration collective. Et les 580 000 hectares cultivés en bio ne représentent que 2,12 % de la surface agricole utile française. Le gouvernement aurait-il engagé, *de facto , un vaste plan de renforcement des importations bios ?
« Le virage est pris, nous sommes entrés dans une phase de décollage, préfère positiver Élisabeth Mercier, directrice de l’Agence bio. Nous attendons des résultats impressionnants pour 2009. » Car, fin 2008, le ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, lançait un plan censé donner le coup d’accélérateur requis : les aides publiques à la conversion d’exploitations classiques en bio [^2] sont désormais accessibles à des surfaces allant jusqu’à 100 hectares (au lieu de 38), et l’enveloppe globale allouée à cet effort national a été multipliée par près de 2,5 depuis 2008. Premiers effets : 1 320 agriculteurs se sont déjà engagés dans la conversion bio au cours des quatre premiers mois de l’année (contre 1 830 pour toute l’année 2008).
Mais « trop tard, trop peu », critique un communiqué de la Fédération nationale des agriculteurs biologiques (Fnab). En effet, on voit mal comment sera atteint l’autre grand objectif du Grenelle pour la filière : la multiplication par trois des surfaces consacrées à l’agriculture biologique d’ici à 2012 ! Déjà, les sommes prévues pour 2009 ne permettront probablement pas de satisfaire toutes les candidatures à la reconversion : dans certaines régions, les préfets, devant l’afflux, ont déjà rétabli un plafonnement pour la taille des exploitations demandeuses.
« Le plan Barnier représente un virage culturel et psychologique, reconnaît Dominique Marion, président de la Fnab. Mais on pâtit depuis dix ans de politiques de non-développement de la bio. Aujourd’hui, il ne suffit pas que de grands groupes de restauration se disent prêts à acheter bio à n’importe quel prix, car on file tout droit dans les mêmes ornières que la production conventionnelle
– monocultures, grandes exploitations, etc. Certes, il faut augmenter les volumes, mais, en attendant, il faut que les collectivités locales participent en assumant le surcoût lié au développement de la filière. »
Et d’insister sur la vision défendue depuis des années par la Fnab pour le développement de la bio en France : démarche de qualité, revalorisation des métiers, économie à l’échelle du territoire (petites filières, emplois locaux), etc. Pour cela, il faudrait aussi que l’État augmente pour la filière les crédits d’animation – la formation, des paysans aux cuisiniers – et de structuration (transformation des produits, marchés, etc.). Un exemple réussi, aux yeux de la Fnab : le Groupement des agriculteurs biologiques des Hautes-Pyrénées, qui maîtrise toute la chaîne de valorisation de ses produits, jusqu’à la livraison de menus complets, ou la coopérative Resto bio, qui anime en Midi-Pyrénées le réseau des producteurs, diagnostique les cuisines, et forme les cuisiniers et gestionnaires de cantines.
Novateur, mais pas toujours suffisant pour les agriculteurs bios ou en conversion, qui ont un besoin important d’être assurés d’engagements d’achat sur plusieurs années.
De la visibilité : c’est ce que propose de donner le SNRC, l’autre regroupement de restaurateurs collectifs (avec celui des régies locales), qui rassemble des entreprises sous-traitantes. Sodexo, un des leaders mondiaux du secteur, met ainsi en avant son partenariat avec la ville de Brest pour un approvisionnement régulier et massif de carottes et de pommes de terre bios produites par des paysans locaux. Légumes certes disponibles en France en hiver, mais dont la restauration collective, qui a pour engagement cardinal de varier ses menus, ne saurait se contenter. Alors on importe, et lorsqu’on s’approvisionne « local », chez ces gros sous-traitants, cela signifie… national.
Nicolas Bailleux, spécialiste de la bio à la Sodexo, fait valoir qu’il faut comprendre les contraintes de sa profession : « Dans de grosses cuisines comme les nôtres, il est impossible de recevoir chaque matin des centaines de kilos de haricots non équeutés, pour des raisons d’organisation, de personnel ou d’hygiène, ou encore des pommes de terre non calibrées, car au prix du produit s’ajouterait un important gâchis lors du passage en éplucheuses. »
Les restaurateurs en régie directe, qui ont souvent conservé des légumeries, ont parfois plus de souplesse pour la transformation des produits, mais ils doivent se débrouiller avec l’interdiction européenne de privilégier explicitement les producteurs locaux pour les marchés publics. Ils tentent de s’en tirer en saucissonnant les appels d’offres. « Un casse-tête » , témoigne Nathalie Beugnot, du CCC France, et qui profite aux gros opérateurs capables de proposer à la fois du conventionnel et de la bio.
Entre agriculteurs et restaurateurs, les transformateurs doivent s’adapter aux produits bios, habituellement peu modifiés en vente directe. « Des lignes de calibrage pour les fruits et légumes se créent, mais l’évolution est plus délicate pour la filière viande, aux coûts plus élevés. Et pour fabriquer, encore faut-il trouver la matière première. Avec les céréales, c’est un problème, par exemple » , explique Cécile Frissur, déléguée générale du Syndicat national des transformateurs de produits naturels et de culture biologique (Synabio). Vouloir passer sa cantine d’un coup au 100 % bio, c’est la meilleure façon d’échouer. Il faut être progressif afin de structurer les filières. »
Aussi, un an et demi après le Grenelle de l’environnement, les acteurs – loin de s’extasier sur les objectifs de restauration bio – rappellent unanimement le sens initial de la mesure : un moyen de soutenir l’accroissement des surfaces agricoles biologiques en France… « Il faudrait aussi se souvenir que l’on avait mis l’accent, en restauration collective, sur la limitation des transports et le bilan carbone » , glisse Nathalie Beugnot. Et contrairement à une idée reçue, la production locale n’est pas systématiquement l’atout imparable, sur ce chapitre : exploitations dispersées, petites quantités, elle est parfois plus polluante, avec sa noria de trajets routiers régionaux, que des importations en gros volumes. En voie de devenir une filière agricole majeure, la bio doit s’attendre à ce qu’on exige d’elle qu’elle soit écologiquement irréprochable.
[^2]: Il faut des investissements et en moyenne un délai de trois ans.