Retour de flamme
La sortie d’un album de Chris Wilson – le premier depuis 1993 – est aussi l’occasion de reparler
des Flamin’ Groovies,
ce groupe magique.
dans l’hebdo N° 1058 Acheter ce numéro
chris Wilson est une légende. En tout cas pour les fans des Flamin’ Groovies, ceux qui disent simplement Groovies en parlant de leur groupe fétiche. À la guitare et au chant, Chris Wilson a coécrit, entre 1972 et 1981, le deuxième chapitre de l’histoire de ce groupe de San Francisco qui, dans la deuxième partie des années 1960, a surgi, sous la houlette de Cyril Jordan et Roy A. Loney, avec cette idée particulièrement incongrue de jouer du rock’n’roll dans la cité du Grateful Dead.
Le deuxième chapitre s’est placé sous le signe des Beatles, des Stones et des Byrds, le groupe affichant ses références autant à travers les guitares lumineuses et les mélodies à pleurer qu’en arborant vestes en velours, cravates, lunettes noires et boots pointues. C’était l’époque où le rock était encore parfois joué par des princes. Les Flamin’ Groovies étaient de ceux-là et, parmi eux, Wilson, dans la splendeur de sa jeunesse électrique, était le plus flashant. Au milieu des années 1970, on pouvait rêver d’être Chris Wilson comme d’autres, dix ans plus tôt, rêvaient d’être Brian Jones.
Comme quelques autres qui ont si bien saisi l’esprit du rock qu’en plus de le jouer avec panache ils l’ont incarné dans leur être et dans leurs gestes, les Flamin’ Groovies ont laissé un souvenir impérissable à ceux qui les ont suivis. Mais si, comme le dit Chris Wilson, leurs fans sont les plus loyaux du monde, l’histoire l’est nettement moins, et le groupe, l’un des plus injustement oubliés aujourd’hui.
Un album suffit à mesurer l’ampleur de cette injustice. Paru en 1976, Shake Some Action est l’un des meilleurs disques de la décennie, et encore plus que cela. Un diamant tombé d’un ciel plombé. Un rock stylé, ciselé, mélodique, excitant, raffiné et sensible, une merveille absolue, l’œuvre d’un groupe totalement brillant saisi dans un moment de grâce. Une sorte de rêve rock’n’rollien et, déjà, la célébration d’un style en voie de disparition. « C’est comme le zeitgeist, l’esprit du temps, qui est dans ce disque. Parce que c’était un temps optimiste, une période de changement sur le plan musical et, pour nous, le moment le plus productif et le plus heureux » , en dit aujourd’hui Chris Wilson. Son nouvel album, Second Life , commence par un clin d’œil à ce disque avec un morceau intitulé « All The Action », qu’il commente ainsi : « C’est comme une reprise. Je voulais montrer où j’en suis aujourd’hui. Je pense que c’est à chacun de s’y mettre pour essayer de changer le cours des choses. »
Si on regarde son histoire de près, on se rend compte que le parcours de Chris Wilson doit beaucoup aux hasards et aux rencontres. Quittant son Boston natal au début des années 1970, il part en Californie, où il rencontre Mike Wilhelm et joue aussitôt dans son groupe, Loose Gravel, qui se retrouve à tourner avec les Flamin’ Groovies, lesquels lui proposent la place de Roy A. Loney quand celui-ci part pour d’autres aventures. Et, dans les années 1980, c’est presque par hasard qu’il se retrouve dans les Barracudas, après les avoir rencontrés lors d’un de leurs concerts. Le parcours de quelqu’un qui dit détester le music business et n’avoir d’autre ambition que jouer de la guitare et chanter. Ce qui n’est sans doute pas le meilleur moyen de faire carrière, mais le mot ne semble guère faire partie de son vocabulaire.
Ce nouvel album confirme la règle. Il voit le jour grâce à une rencontre avec Anthony Clark, journaliste et musicien, lequel avait à la fois des chansons toutes prêtes et de quoi financer le disque. Chris Wilson ne signe que trois morceaux – il avoue être un peu paresseux –, auxquels il ajoute une reprise sous haute tension de « Visions Of Johanna », qu’il a voulue fidèle à cette version que possède Anthony Clark, jouée par Dylan avec le Band et marquée par un long solo de guitare de Robbie Robertson.
Il est bien évident qu’un album de Chris Wilson ne peut pas sonner aujourd’hui comme les Flamin’ Groovies. Parce que les Flamin’ Groovies, c’était une signature magique, Jordan/Wilson, et une alchimie de groupe. Et parce que du temps a passé. Il en subsiste néanmoins un écho au travers de la voix, du son de guitare très reconnaissable, et des mélodies. Second Life contient plus de gravité, et peut-être un peu de tristesse aussi, même si son auteur s’en défend. Un autre temps et un autre esprit.