Rien n’est trop bio pour les enfants
Manger local et bon, voire bio, c’est possible. Même à la cantine. Dans les Pyrénées-Orientales, des initiatives visent à assurer des repas de qualité et la préservation de la vie rurale.
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Croustine de chèvre et carottes à l’orange. Saumon à la crème de ciboulette et pâtes fraîches à la châtaigne. Marquise de trois chocolats. Contrairement aux apparences, ce menu n’est pas d’un grand restaurant mais d’une cantine scolaire. Ou plutôt de leur hybride ! Tous les midis, les enfants de Mosset parcourent les 200 mètres qui séparent leur école de La Castellane, le bar-restaurant de ce village des Pyrénées-Orientales. À l’origine du projet, la mairie entendait préserver la vie locale. « Il a d’abord fallu batailler pour le maintien de l’école en amont de la vallée, explique René Mestre, alors maire, puis racheter et rouvrir un restaurant, et enfin faire de la cantine une condition à sa gérance. » Pari réussi : le village a atteint les 300 habitants, et de nouveaux jeunes s’y installent. Les enfants ne mangent pas encore bio, mais local quand faire se peut, et frais à 99 %.
« Tout dépend du cuisinier et, dans les petites communes, de la municipalité » , explique Maurice Picco. Depuis 1994, cet agriculteur biologique, militant de la première heure – 1974 – à Nature et progrès, se bat pour mettre en place des cantines bios dans les Pyrénées-Orientales. Que les minots et les personnes âgées mangent sain lui importe tout autant que le développement d’une production écolo au sein du département.
Pour convaincre du bien-fondé de leur démarche, et avant que le documentaire Nos enfants nous accuseront ne la popularise, les porteurs du projet ont su développer un argumentaire choc. « Approvisionner les cantines en produits bios locaux a de nombreux effets positifs : maintien d’une bonne santé, éducation à une consommation responsable et à un développement durable et solidaire, amélioration de la qualité de l’eau potable, création d’emplois, lutte contre l’exode rural et contre l’effet de serre, protection des sols, préservation de la biodiversité, aménagement du territoire, prix plus rémunérateurs pour les producteurs. » La liste fait mouche. En 2008, le conseil général met la main au porte-monnaie : une subvention de 20 000 euros permet à l’agronome Noémie Boutier de commencer à chercher les terres compatibles et les agriculteurs motivés.
Le chantier, considérable, se cantonne pour l’instant à assurer les 750 repas des collégiens et écoliers de Prades, auxquels s’ajoutent l’école de Villefranche et la maison de retraite de Vinça. Premières difficultés : l’approvisionnement et le coût. « Parce que la viande bio reste deux à trois fois plus chère, nous préférons commencer par les fruits et les légumes, explique Noémie. Sur un an, le passage au biologique représente une hausse de 5 % du budget global. » Cette objection pécuniaire agace Maurice : « Un cancer, ça coûte combien ? Et la santé de nos mômes, elle est à quel prix ? » Au final, l’augmentation ne représente qu’un centime par repas. De quoi sauter le pas. D’autant plus que « le “juste prix” ne figure hélas pas sur les étiquettes des produits conventionnels, écrit Lilian Le Goff, qui suit le dossier OGM à France Nature Environnement, on les paie en réalité, pour certains, 4, voire 5 fois ».
Reste l’approvisionnement. Bien que le département ait fixé pour 2010
– et déjà atteint – 10% de surface agricole utile (SAU) en bio, la production serait loin de suffire aux 16 000 repas fournis chaque par le conseil général. Nature et Progrès/Terres catalanes tente une solution à Vinça : établir un contrat à l’année entre la cantine et un jeune agriculteur de la commune. La première s’engage sur l’achat et les prix ; le second, sur la fourniture de produits bios. Rassurant, ce système ne lève pas le problème majeur qui freine les installations, à savoir un foncier aux prix prohibitifs. Là encore, Maurice et Noémie ont trouvé une parade : former les jeunes agriculteurs aux accès collectifs à la propriété. Munie de son brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole, Isabelle De San Isidoro entend bien s’y rendre. Elle, qui aimerait faire du maraîchage bio à Mosset, regrette : « Les subventions sont conditionnées à la surface minimum d’installation (difficilement compatible avec le milieu semi-montagnard), à un régime comptable imposé et à un engagement d’au moins cinq ans. Cela représente un fort endettement, encore alourdi par le prix du foncier. » De quoi en décourager plus d’un.
Alors, très vite, à l’échelle locale, s’impose l’idée d’une révolution hexagonale. « Plus qu’une mesure de santé publique, c’est un projet de société que celui de mettre en place des cantines scolaires approvisionnées en produits bios de proximité, explique Maurice. Il vise à reprendre en compte les dynamiques de territoires, en créant de l’emploi et de la vie dans des régions parfois abandonnées ou qui tiennent lieu de dortoir des agglomérations urbaines. Pourquoi ne pas tenter ce qui paraît au premier abord idéaliste, mais qui finalement est réalisable tant c’est logique et simple ? »
Un jour, peut-être, à Mosset, Isabelle pourra vendre ses fruits et légumes à Roland Fabresse, le chef cuistot de La Castellane, « fier de réinjecter de l’argent localement même si c’est un peu plus cher, fier de cette cantine où les enfants mangent bon ».