Rock : en zone sensible
Deuxième album en duo de P.J. Harvey
et John Parish. Une expérimentation inspirée, sous le signe du minimalisme.
dans l’hebdo N° 1056 Acheter ce numéro
On se souvient encore de l’arrivée de P.J. Harvey sur la scène rock anglaise en 1992. De cette frêle jeune femme au physique un peu ingrat, venue de son Yeovil natal, cette petite ville du Somerset qu’elle plaçait d’emblée sur la mapemonde électrique avec un premier disque au son âpre et brut, et aux paroles crues et directes, ignorant les métaphores. Le plus impressionnant était la force qui s’en dégageait. À l’époque, beaucoup avaient évoqué Patti Smith, mais la comparaison rappelait surtout que cette dernière restait une icône en matière de rock au féminin et que les grandes voix féminines n’étaient pas si nombreuses.
Il y a bien longtemps qu’on ne compare plus P.J. Harvey à personne d’autre qu’elle-même tant elle a fait du chemin. Son chemin, tracé de manière aussi singulière qu’indépendante avec cette constante de privilégier un certain minimalisme et cette affirmation qu’il n’y a pas que les mots qui comptent, il y a aussi la façon de les dire, ce qu’illustre encore parfaitement ce nouvel album, le deuxième conçu et réalisé avec John Parish. Lui a écrit et joue les musiques ; elle a écrit et chante les textes, avec d’innombrables façons de « dire les mots ».
Ce disque vient aussi rappeler ce qui a toujours guidé la démarche de P.J. Harvey : l’exigence de fonder son travail sur une recherche des sons et des structures, et sur les possibilités de la voix. Il se situe dans cette zone sensible qui n’est pas encore purement expérimentale mais s’est déjà affranchie des formes classiques. En tout cas dès après le morceau d’ouverture, qui, lui, devrait tourner en boucle sur les radios si le monde était mieux fait. C’est un peu comme le single placé en début de disque. Après, c’est une autre histoire qui s’écrit, une autre voix qui s’exprime. Il serait même plus juste de parler d’autres voix tellement P.J. Harvey use de registres différents, parfois dans une même chanson : de l’étranglement au cri radical en passant par la diction narrative, parfois dédoublée (écho velvetien), les moments écorchés ou au contraire fluets, implorants.
La musique, essentiellement à base de cordes et de percussions, joue sur les étirements et les ruptures qui créent des arêtes vives, du fracas aux confins du silence et de l’ombre, rétrécissant ou dilatant l’espace en jouant sur les sons, leur texture, leur nombre et leur volume, avec une constante économie de moyens. Chaque morceau est abordé comme une terra incognita . L’ensemble est admirable.