Avignon, première !
Coup d’envoi mardi
d’un festival qui parie sur des cinéastes abordant
le théâtre (Gitaï, Honoré)
et sur un poète
libano-québécois, Wajdi Mouawad.
dans l’hebdo N° 1059 Acheter ce numéro
Au cœur du nouveau festival, un auteur archi-salué par le système public et connu des aficionados : Wajdi Mouawad, Libano-Québécois qui est, à 41 ans, la nouvelle gloire du théâtre francophone. Il est l’artiste invité par les directeurs, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, à prendre la place qu’il veut et à faire venir les artistes de son choix. La place, il la prend bien, avec une tétralogie, le Sang des promesses, dont les trois premiers volets composent un spectacle de onze heures, du crépuscule à l’aube, dans la Cour d’honneur, et dont la dernière partie sera donnée un peu plus tard dans une salle de la périphérie d’Avignon.
Il n’y a guère, parmi les vivants, qu’Olivier Py qui a pu, précédemment, proposer une œuvre d’une telle ampleur. Mais Mouawad déploie une parole plus grave encore, hantée par la guerre, les déchirures, la quête folle des origines et de l’identité. Un grand auteur qu’on va, cette fois, goûter et juger dans sa dimension marathonesque. Quant à ses amis du Québec, il en a convié peu, mais ils pimenteront cette édition plutôt tournée vers le Proche-Orient et l’Afrique, quand elle ne choisit pas de revenir aux éternelles interrogations posées par ces bons vieux tragiques grecs.
Ce qui se dessine aussi à travers ce copieux programme – toujours trop copieux, le spectateur ne respire plus sous le poids des sollicitations –, c’est la main tendue vers les cinéastes. Le réalisateur israélien Amos Gitaï met en scène son adaptation d’un récit de l’historien latin Flavius Josèphe, l a Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres : il y aura la grande Jeanne Moreau, d’autres acteurs, des images filmées à Massada pour conter cette chronique d’hier qui parlera de l’Israël d’aujourd’hui. Autre cinéaste : Christophe Honoré, qui monte l’un des mélos flamboyants de Victor Hugo, Angelo, tyran de Padoue, dont Marcial di Fonzo Bo, Clotilde Hesme et Emmanuelle Devos assurent les rôles principaux. Bonne chance à eux : ils jouent une partie difficile. Les réalisateurs, quand ils font du théâtre, qu’ils s’appellent Claude Chabrol, Jacques Rivette ou Patrice Leconte, cadrent mal une aventure sans gros plan.
Pour le reste, la participation alterne les grands metteurs en scène, Krzysztof Warlikowski, Claude Régy, Denis Marleau, Christoph Marthaler, Jan Lauwers, et les bons auteurs, Joël Jouanneau, Pippo Delbono, Rachid Ouramdane… Il s’ouvre au Liban (Saneh et Mroué), au Congo (Dieudonné Niangouna), à Madagascar (Jean-Luc Raharimanana), avec des incursions en terres flamande et espagnole. Sur le papier, à travers les promesses de ses artistes, le festival s’annonce passionnant !
Face à la quarantaine de spectacles du festival officiel, le « off » en aligne 980 (un chiffre qui peut grossir), soit à peu près autant que l’an dernier. La crise n’aurait donc pas frappé les baladins. En réalité, il y a toujours autant d’audacieux pour se ruiner au bénéfice des propriétaires des salles avignonnaises. Ceux qui chapeautent la manifestation marginale, André Benedetto, Greg Germain, Christophe Galent (pour les débats), entendent rendre la vie des compagnie plus heureuse et plus respectueuse de l’éthique. Et, pour ne plus être seulement un bric-à-brac, une série d’événements vise à inscrire l’ensemble dans une réflexion globale sur le théâtre d’aujourd’hui. Des magazines qu’on n’avait vus que du côté du « in », tels les Inrockuptibles ou Mouvement , apportent, pour cela, leur soutien à certaines actions du « off ». Tout un hommage sera rendu à Koltès, avec une exposition, des spectacles courts et la projection de son film de jeunesse, la Nuit perdue. Deux critiques, Bruno Tackels et Diane Scott (en réalité, des chroniqueurs marginaux par rapport à la presse grand public), ont même été invités à suivre le « off » et à intervenir à différents niveaux. Il s’agit, sans doute, de faire davantage pencher la balance du bon côté, contre les amuseurs à deux sous et qui, eux, gagnent beaucoup d’euros, toujours trop nombreux dans cette organisation ouverte à tous. Les populistes, par chance, ne sont qu’une minorité dans cette grande explosion du théâtre populaire.