Berlin, ville ouverte
Depuis la chute du Mur, Berlin enchaîne tous azimuts les grands projets pour reconstruire et recomposer une ville divisée pendant cinquante ans, aujourd’hui devenue une métropole européenne moderne.
dans l’hebdo N° 1062-1064 Acheter ce numéro
Dès la fin de l’été 1989, l’industriel allemand DaimlerChrysler conclut avec le gouvernement ouest-berlinois l’achat d’une parcelle de terrain vague au pied de la ligne de démarcation entre les deux parties de Berlin, pour une bouchée de pain. Trois mois plus tard, le Mur tombe. Le groupe japonais Sony sent l’aubaine et acquiert à son tour une part de l’ancien no man’s land, la Potsdamer Platz, promise à incarner le nouveau centre de la métropole réunifiée. C’est donc sur un sol privatisé (Sony et DaimlerChrysler sont propriétaires du foncier, à tel point qu’ils ont droit et devoir de police sur leur zone) que Berlin a débuté sa reconstruction, avec un mini Manhattan fait de gratte-ciel, de cinémas multiplex et de centres commerciaux signés par des grands noms de l’architecture (comme Renzo Piano et David Chipperfield) [^2].
D’abord sceptique, le géographe Boris Grésillon, maître de conférences à l’université de Provence, estime aujourd’hui que la zone « fonctionne » dans son rôle de nouveau centre. « Les habitants, de l’Est comme de l’Ouest, se la sont appropriée, en tant que consommateurs. » Selon ce spécialiste de l’espace berlinois, si la métropole s’est bel et bien réunifiée sur le plan technique (raccordement des lignes de métro et des rues), elle reste une ville « puzzle » , partagée entre ses deux anciens cœurs (Mitte, à l’Est, et Charlottenbourg, à l’Ouest). La Potsdamer Platz représente à ses yeux la seule œuvre de ces vingt ans qui offre une unité au Berlin d’aujourd’hui.
« Il a manqué une personnalité forte pour conduire le développement urbain de Berlin, estime pour sa part Gilles Duhem, urbaniste français installé dans la métropole allemande depuis 1989. Il a manqué un Haussmann. » L’ancien responsable d’un programme social dans l’un des arrondissements les plus difficiles de la ville critique durement les politiques urbaines menées depuis 1990 : « Le gouvernement local s’est doté du bon outil : le Stadtforum [lieu de discussion publique des projets de reconstruction, lancé en 1991]. Mais en l’absence d’une vision globale, il a échoué. »
Pour preuve, les grands ensembles de type soviétique des quartiers périphériques est-allemands, comme Marzahn ou Hellersdorf : « Ils ont été rénovés sans liant. Cela ressemble à un catalogue de tous les matériaux proposés par les constructeurs. On a créé une impression de chaos. »
Du centre commercial Alexa, (un cube gigantesque aux façades roses ouvert en 2007 sur l’Alexanderplatz) à la reconstruction prévue du château baroque des Hohenzollern en lieu et place du palais de la République (ancien centre culturel de l’Allemagne de l’Est), les nouveaux bâtiments berlinois se surpassent certes en excentricité. « Mais il existe bel et bien une cohérence, assure Dieter Frick, professeur émérite d’urbanisme à l’université technique de Berlin. Elle réside dans le plan d’utilisation des sols adopté en 1994 et dans le concept de “reconstruction critique” d’Hans Stimmann » , responsable du développement urbain de la capitale de 1996 à 2006. Ce bâtisseur en chef a imposé, pour le centre historique, une exigence minimale aux investisseurs : respecter les normes techniques des constructions d’avant-guerre. D’où l’uniformité des façades de la Friedrichstrasse, par exemple, quand les architectes ont laissé libre cours à leurs créations à l’intérieur des édifices (comme dans les Galeries-Lafayette conçues par Jean Nouvel). Que ces règles a minima n’aient pas pu empêcher quelques extravagances, voilà un moindre mal, selon Florian Koch, urbaniste au Centre Georg-Simmel de Berlin et professeur à l’université technologique d’Erfurt : « Dans une ville qui a vécu en partie sous le régime de la RDA [Allemagne de l’Est], où l’État lançait de grands projets sans concertation, il est très important que le développement urbain se réalise dans l’hétérogénéité et la démocratie. »
Les Berlinois se sont en effet saisis des questions urbaines depuis 1990. Dernier exemple : la fermeture de l’aéroport Tempelhof a donné lieu à un référendum d’initiative populaire pour conserver l’activité du terminal situé au cœur de la ville [^3]. Et si le plan de construction de dix nouvelles tours sur l’Alexanderplatz ne suscite guère d’opposition pour l’instant, c’est qu’il va probablement rester encore plusieurs années dans les cartons.
Les défis à venir se situent en tout état de cause ailleurs. « Aujourd’hui, Berlin doit faire face à des problèmes sociaux, plus qu’urbains » , témoigne Gilles Duhem, de son quartier de Neukölln, où le chômage touche un quart de la population [^4].
[^2]: Les premiers bâtiments de la Potsdamer Platz ont été livrés en 1995, les derniers en 2003.
[^3]: Le référendum a échoué. L’aéroport historique, utilisé pour le pont aérien destiné à ravitailler Berlin-Ouest lors du blocus de 1948-1949, a fermé ses portes le 30 octobre 2008.
[^4]: Le taux de chômage de Neukölln s’élevait à 24,8 % en janvier 2009 (source : Bezirkamt Neukölln.)