« Il faut désincarcérer le code pénal »

Délégué général de l’Observatoire international des prisons (OIP), Patrick Marest porte un regard critique sur la politique pénitentiaire actuelle, et prône une autre approche de la peine.

Jean-Claude Renard  • 9 juillet 2009 abonné·es

Politis : La vie en milieu carcéral s’est considérablement dégradée ces dernières années. Comment expliquez-vous cette situation ?

Patrick Marest : Les préconisations ont été niées par les pouvoirs publics, donc elles n’ont pas été mises en œuvre. À partir du moment où l’on se refuse à mettre en place les réformes nécessaires, tout reste en l’état, voire empire. En 2000, les commissions d’enquêtes du Sénat et de l’Assemblée avaient conclu à l’unanimité leurs périples en prison par les termes : « une humiliation pour la République » . À l’époque, il y avait autant de détenus que de places, avec un taux moyen d’occupation de 100 %. En 2001, il y avait même moins de détenus que de places ! Que diraient les députés et les sénateurs aujourd’hui ? On peut l’imaginer, vu l’état actuel de surpopulation en cellule, c’est-à-dire une inflation carcérale historique et, à la clé, des situations aggravées. Et quand on dénonce en France, comme l’a fait le Comité de prévention contre la torture, des « traitements inhumains et dégradants », cela ne signifie pas seulement le fait d’être à quatre dans une cellule pour deux, 22 heures sur 24. C’est aussi moins d’activités, moins d’accès aux soins, moins de promenades, moins d’écoute. Et tel est le cas pour 70 % de détenus en France.

Quelles étaient les propositions du candidat Nicolas Sarkozy à la présidentielle 2007 ?

« La prison doit changer, la prison va changer » , avait-il dit. Il s’était engagé à ce que la commission de discipline ne soit plus présidée par le chef d’établissement, afin que celui-ci ne soit plus juge et partie, et pour la suppression de la fouille intégrale et humiliante des détenus. Tout cela s’inscrivait dans une philosophie générale qui consistait à dire : dans ma société, il y a de la prison pour tout le monde, mais il ne s’y passera plus n’importe quoi, ni la même chose. Nous étions dubitatifs sur cette rhétorique d’un pénal répressif et d’un pénitentiaire progressiste. C’est impossible, car politique pénale et politique pénitentiaire sont indissociables. Tant que la première n’évoluera pas, le changement est illusoire.

Quelles seraient aujourd’hui les priorités ?

Il n’y a qu’une urgence, si l’on veut bien régler cette question lancinante sans se payer de mots : l’État doit tenir son rôle. Il est urgent que l’État de droit ne s’arrête pas aux portes des prisons, que les droits de l’homme soient reconnus, appliqués et garantis derrière les murs et les barreaux.
À l’évidence, le mal-être est aussi présent chez les surveillants…
En effet. Détenus et surveillants, même combat. Ils ont compris que leur sort était lié. C’est évidemment le bon jeu pour l’administration pénitentiaire d’opposer les uns aux autres, de diviser pour mieux régner. Tout ce qui favorise le respect de la dignité humaine chez les détenus revalorise la fonction des autres.

Quels seraient les remèdes à la surpopulation carcérale ?

Depuis vingt-cinq ans, on nous vend comme unique stratégie la construction de prisons. C’est le sentiment d’insécurité auquel il faut répondre par la répression. Dans ce dernier quart de siècle, le nombre de places en prison a doublé. Cela n’a absolument pas résorbé la surpopulation carcérale. Ce raisonnement ne tient donc pas. On pourra doubler à nouveau le parc pénitentiaire, on aura le même effet contre-productif : plus on construit, plus on remplit. Tant qu’on n’arrivera pas à la notion d’alternative à la détention, à la notion de substitution, on restera spectateur des variations saisonnières des magistrats, évoluant selon l’opinion publique. Car le poids des magistrats est aussi essentiel dans le choix des sanctions. Il faudrait supprimer l’alternative. Ne pas laisser le choix entre la prison et une autre sanction mais imposer, pour tel ou tel délit, une autre sanction que la prison. En somme, il faut désincarcérer le code pénal, passer d’une logique d’alternative à une logique de substitution. Comme l’ont fait les Espagnols en 2001, en abolissant du jour au lendemain la prison pour les mineurs, remplacée par une palette de mesures. Un juge de la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré qu’au même titre « que le droit à la vie nous a fait supprimer la peine de mort, le droit à la liberté nous fera supprimer l’enfermement » . Ce qui renvoie au discours de Michèle Perrot estimant que « la prison n’a pas toujours existé, elle n’existera pas toujours » . Si l’on veut voir les choses évoluer sensiblement, une révolution culturelle et juridique est nécessaire, avec un changement radical de la politique pénale.

Au fil des années, le rôle primordial de la réinsertion s’est effacé.
Pourquoi y a-t-il si peu de débat sur le temps utile en prison ?

Parce que c’est d’abord une escroquerie intellectuelle. Comment expliquer que, pour réinsérer quelqu’un, il faille commencer par le détacher de la société ? La réinsertion est un alibi cynique pour habiller l’objectif sécuritaire. On aurait préféré une institution qui songe à faire du temps carcéral un moment opportun pour la réinsertion. En misant tout sur la lutte contre la récidive, on pense moins à la personne qu’à son acte. Or, la menace de la prison n’a jamais dissuadé de la récidive ! Fondamentalement, personne ne croit au temps utile en prison. C’est comme le sens de la peine. Juste une rhétorique aimable qui a usé et abusé beaucoup d’esprits.
La prison ne devrait pas être un lieu avec moins de droits mais avec plus de droits parce qu’il y a plus de travail à faire avec les détenus. Il y faudrait une discrimination positive, et peu importe l’opinion publique. Il s’agit d’infliger quelque chose de positif. De condamner à faire quelque chose de bien et non pas à en chier ! Ce n’est malheureusement pas dans l’air du temps.

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