La gauche selon Bourseiller
dans l’hebdo N° 1059 Acheter ce numéro
Puisque ce dossier est consacré non pas à « la » gauche, mais à toutes les gauches, à l’occasion de la parution
de cet ouvrage très complet et très intéressant dirigé par Alain Caillé et Roger Sue, disons ici un mot d’un livre de facture très différente : À gauche, toute !, de Christophe Bourseiller. Depuis nombre d’années, celui-ci s’est spécialisé dans l’exploration de ce qu’il rassemble sous la rubrique extrême gauche.
Cet ouvrage vient après d’autres, consacrés aux trotskistes ou aux maoïstes. Il souffre d’un défaut : la décontextualisation. Ce recueil de textes écrits sur plus
de dix ans est comme orphelin de l’histoire,
et singulièrement de l’histoire sociale. D’où le double risque de figer ces organisations derrière une étiquette et de rendre inintelligibles leurs évolutions. Faute d’ancrage dans des situations politiques concrètes, les changements de cap sont appréciés d’un point de vue quasi comportementaliste.
Un seul exemple, les trotskistes algériens. Partant d’un mot d’hommage du président algérien Bouteflika à la dirigeante trotskiste Louiza Hanoune, l’auteur en déduit que « les mouvements d’extrême gauche apparaissent comme de fermes soutiens des États arabes les plus laïcs ». Il passe ainsi allégrement du singulier – ce courant du trotskisme – au pluriel – « les mouvements d’extrême gauche ». Et il fournit une explication trompeuse : cinquante ans plus tôt, ces mouvements soutenaient le FLN dans la guerre d’indépendance. Passons sur le fait que qualifier Bouteflika de « laïc » est aller vite en besogne. Mais, surtout, c’est oublier que Louiza Hanoune s’est battue en 1992 pour la poursuite d’un processus électoral favorable au Front islamique du salut (FIS) – et cela contre le régime dont est issu Bouteflika –, qu’elle a pris une part prépondérante en 1995 au processus de Sant’Egidio pour le dialogue
avec le FIS contre le régime algérien. Quant à l’amalgame historique « des » extrêmes gauches, il est ici particulièrement préjudiciable à la vérité puisque Louiza Hanoune est l’héritière d’un mouvement qui n’a jamais soutenu le FLN mais le MNA de Messali Hadj, dont les militants ont été traqués et parfois massacrés par le FLN. Un détail. On pourrait prendre d’autres exemples du péril qui guette l’auteur à trop vouloir réunir sous un même vocable ce qui ne se ressemble pas, et à expliquer les choix tactiques ou stratégiques par des invariants comportementaux à cinquante années de distance.
S’il y a dans le livre de Bourseiller des points faibles, il y a aussi des points forts. Ainsi, toute la dernière partie, une centaine de pages consacrées à Guy Debord et aux situationnistes. Leur influence sur Mai 68 et leur héritage. Ici, Christophe Bourseiller laisse parler son empathie. Et c’est tant mieux.