La guerre de l’intérieur

L’Hôtel de Sully, à Paris, présente une rétrospective des images d’Agusti Centelles sur la guerre civile espagnole. Un témoignage unique.

Jean-Claude Renard  • 23 juillet 2009 abonné·es

En avril 1931, l’avènement de la République met à la porte le roi Alphonse XIII. Et plonge l’Espagne dans l’affrontement entre les forces de gauche et un fascisme incarné par les phalangistes. En 1934, le général Franco réprime les soulèvements populaires dans les Asturies. Rien de moins qu’une répétition générale. La victoire du Front populaire en février 1936 précipite les tensions. Les garnisons espagnoles au Maroc, élevées contre la République, sont relayées par les militaires. Le petit peuple prend les armes. La guerre civile a commencé. Dans une Europe en proie aux dictatures, les antifascistes rejoignent les milices des syndicats et des partis. Avec enthousiasme et convictions. Les factieux obtiennent l’aide militaire de Mussolini et de Hitler. Le conflit se fait international.
Ces années espagnoles ont été parmi les premières couvertes par la presse, donnant au photojournalisme ses heures de gloire. Robert Capa, bien sûr, livrant pour l’occasion l’image la plus connue, depuis le front andalou, synecdoque de la guerre civile espagnole. Mais encore Gerda Taro, David Seymour, Hans Namuth, Georg Reisner, Walter Reuter… Soit une « brigade de photographes » , selon l’expression de Cornell Capa (frère de), qui circulent dans tout le pays. Si nombre de soldats du monde entier sont venus défendre la République, plusieurs journalistes photographes, munis d’appareils légers, maniables, tel le Leica, sont ainsi venus pour illustrer journaux et magazines ( Vu, Life, Match, Ce Soir, Regards ou l’Humanité ).

Agusti Centelles (1909-1985) ne se déplace pas. Il est catalan. Déjà sur place. Déjà photographe, un Leica autour du cou, acheté à crédit. Présentée à l’Hôtel de Sully, à Paris, l’exposition Journal d’une guerre et d’un exil (1936-1939), consacrée aux images d’Agusti Centelles, est donc à voir comme un récit intime et historique, la guerre civile perçue de l’intérieur.

En juillet 1936, Centelles montre la résistance au coup d’État militaire et la défaite provisoire des fascistes. En 1937, mobilisé dans l’unité des services photographiques de l’armée, il publie de nombreux reportages réservés au front aragonais. En 1938, il est responsable du cabinet photographique du service d’information militaire. En 1939, il est de l’exode républicain franchissant la frontière française. D’abord cantonné dans le camp d’Argelès-sur-Mer, puis transféré au camp de Bram, dans l’Aude. En 1940, il participe à la Résistance française, installe un laboratoire clandestin à Carcassonne, dissimule des archives qu’il récupérera plus de trente ans plus tard, après la mort de Franco, en 1976.

Dans l’argentique se succèdent les premiers morts après les affrontements dans Barcelone (en juillet 1936), les agents de la garde civile et les syndicalistes armés, les procès militaires, l’enterrement de Buenaventura Durruti, le départ des miliciens, le bureau d’inscriptions au siège du Poum, la collectivisation des transports publics, un meeting de Federica Montseny, les combats sur le front d’Aragon, les figures d’anonymes auxquels se joint le seul témoignage visuel de la présence de George Orwell en Espagne (janvier 1937), l’exode et le quotidien du camp de Bram. Toute une plaie de l’histoire livrée par un regard unique.

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