Les nouveaux débats de société
dans l’hebdo N° 1062-1064 Acheter ce numéro
Rostropovitch jouant seul devant les pierres qui tombent… C’est l’image que certains conservent du 11 novembre 1989. La sarabande de la deuxième Suite pour violoncelle de Bach s’élevant à Checkpoint Charlie, point de passage des étrangers, tandis que le célèbre violoncelliste saluait à sa manière l’ouverture du Mur et ceux qui avaient perdu la vie là. Retransmise par les télévisions du monde entier, la scène a tant marqué les esprits que la statue de Rostropovitch au musée Grévin le présente dans une brèche. C’est dire si cette image incarne le tournant engendré par l’événement dans l’imaginaire occidental. Les artistes du Mur ayant donné une âme au béton. Architecture réduite aujourd’hui à une ligne de pavés. Non plus monument mais traces, tracé, dans le bitume et la mémoire.
Le cinéma américain a été frappé par ce souvenir. Ainsi l’événement y a-t-il fait rétrécir la figure de l’ennemi, passé de derrière la cloison à l’intérieur de l’individu, cependant que la figure du mur s’est élargie aux frontières du monde, réel et virtuel. Depuis les années 1990, la société affronte la chute de murs – classes, normes – mais le remontage d’autres, copies ineptes des précédents ou rejetons moins « visibles ». Et les séparations de proliférer, moins entre Est et Ouest désormais, qu’entre Nord et Sud, centres et périphéries, bien lotis et précaires, bien portants et malades, bien logés et sans-logis, identifiés et sans-papiers… De nouvelles parois s’érigent dans un espace faussement ouvert qui laisse peut-être évoluer des forces neuves comme l’écologie mais aussi de nouveaux cloisonnements. Dans cette vaste zone couverte de clôtures, le prisonnier a tous les visages. Il est dehors mais se terre, sous les ponts, sur les rives, dans les bois, les soutes, les terrains vagues, les camps d’infortune, les plis des sociétés… passant de multiples murailles, mais enferré dans une clandestinité qui migre sans relâche vers un monde libre mal défini, ou réservé.