Marche de l’égalité, acte II : c’est parti !
En hommage à la première Marche pour l’égalité et contre le racisme d’octobre 1983, une nouvelle Marche de l’égalité s’élance de Marseille aujourd’hui. Arrivée prévue à Paris le 13 juillet.
A l’occasion de cet hommage aux marcheurs de 1983, Politis publiera dans son édition du 9 juillet une enquête sur les difficultés des mouvements associatifs issus des banlieues à s’unir et à émerger comme force politique. Pour le sociologue Michel Kokoreff, dont l’entretien est publié ici en intégralité, il y a pourtant « dans ces quartiers un formidable potentiel politique ».
Politis.fr : Quels sont les principaux sujets qui intéressent «politiquement» les habitants des quartiers populaires ?
_ Michel Kokoreff : Les gens des quartiers n’ont rien d’exceptionnel. Ils s’intéressent aussi bien à la politique intérieure qu’à la politique internationale, en Europe ou dans le reste du monde. Considérés dans leur diversité (jeunes, adultes, hommes, femmes, issus de familles migrantes ou d’ascendance français, etc.), ils sont bien sûr particulièrement sensibles aux questions qui les touchent collectivement et individuellement. Ainsi en va-t-il des questions liées à la sécurité, à la police et à la justice, à l’insécurité, à l’immigration, au racisme et aux discriminations, et plus largement aux «banlieues», mais aussi aux conflits au Proche-Orient ou à l’élection de Barack Obama qui a eu une résonance particulière dans ces périphéries urbaines. Ce qui les caractérise peut-être par rapport à d’autres catégories de population urbaine, c’est que leur façon d’appréhender ces problèmes se nourrit fortement de leur expérience quotidienne et de leur histoire collective. Dans ce sens, ce qui m’a toujours frappé c’est à la fois la lucidité sociale et la conscience politique fortes des personnes que j’ai pu rencontrer dans le cadre de mes enquêtes de terrain. C’est vrai y compris pour les plus jeunes que l’on complaît trop souvent à décrire comme «dépolitisés», «apathiques», indifférent aux affaires de la cité, etc. De ce point de vue, les halls et autres lieux qu’ils occupent de manière ostensible constituent autant de lieux de socialisation politique.
Ces personnes sont-elles généralement de gauche, comme on aurait tendance à le penser ?
_ L’histoire récente et la sociologie des rapports des habitants des quartiers populaires avec la gauche en général sont marquées par la «mésentente», les «rendez-vous manqués», bref le désenchantement. Cela n’a pas empêché Ségolène Royal d’arriver largement en tête dans les Zones urbaines sensibles (ZUS) au premier et second tours de la présidentielle. Certes, il s’agissait moins d’un vote d’adhésion que d’un vote «anti-sarko». Depuis l’abstention est redevenue la norme électorale. On peut pas dire que le PS ou le NPA aient réellement travaillé en direction de ces quartiers. Ce qui a changé, notamment depuis les émeutes de 2005, c’est que beaucoup sont revenus des illusions nourries par la droite libérale, sécuritaire et réactionnaire. La nomination de Rachida Dati ou Yama Rade, sans parler de Fadela Amara, relève du symbolique. C’est important. Mais là aussi, les désillusions ont été fortes et le sentiment d’abandon semble s’accroître.
Quels sont les principales raisons des taux d’abstention records enregistrés dans les banlieues ?
_ Aux désillusions politiques s’ajoutent les difficultés sociales. C’est le sentiment que rien ne change, en dépit des annonces et des promesses. De même, la crise de la représentation politique dans sa diversité culturelle trouve dans ce contexte une forme particulièrement aigüe. Ensemble, ces phénomènes nourrissent des fractures non seulement sociales, urbaines ou ethniques mais citoyennes. Conséquence : ce qui caractérise ces quartiers c’est un déficit démocratique qui s’auto-alimente.
Comment qualifierez-vous les visées politiques des mouvements citoyens (DiverCité, Mouvement de l’immigration et des banlieues, les Motivé-e-s, etc.) qui fleurissent dans les banlieues ?
_ Elles sont indiscutables. Qu’elles soient inaudibles par la société française dans son ensemble est un autre problème. Ces visées expérimentent depuis longtemps déjà l’autonomie politique. Parfois en en payant le prix fort. Peu reconnus à l’extérieur, invisibles d’une grande partie de l’opinion, méprisés par les appareils, ces mouvements sont travaillés de l’intérieur par de profondes divisions et querelles. Il en résulte une offre politique fragmentée, et par là disqualifiée.
L’idée d’un «parti politique de banlieue», et pas seulement des «élus de banlieue», existe-t-elle ?
_ Jusqu’ici toutes les tentatives de la sorte ont échoué. Attention à ne pas créer un nouveau ghetto ! Au fond, les demandes exprimées par les militants des cités n’ont rien de spécifiques : elles portent sur l’égalité des droits, la justice sociale, la reconnaissance et le respect, la lutte contre les discriminations de toute sorte. Cela étant dit, il y a dans ces quartiers un formidable potentiel politique. L’après-émeutes de 2005 et les élections municipales de 2007 l’ont révélé au grand jour. En prendre conscience et tenter d’en organiser l’expression, pourquoi pas ? A condition de ne pas l’isoler d’autres formes d’expression politique et de construire des passerelles avec d’autres mondes sociaux.