Obama, Sarkozy et l’Afrique
dans l’hebdo N° 1061 Acheter ce numéro
C’est sans doute ce qu’on appelle l’état de grâce, et un état de grâce planétaire ! Barack Obama n’a guère recueilli que des louanges au lendemain de son discours aux Africains prononcé devant le Parlement ghanéen. Deux ans plus tôt, « notre » Nicolas Sarkozy, s’essayant au même exercice de morale dans un amphithéâtre d’une université de Dakar, avait surtout suscité l’indignation. Et un collectif d’intellectuels africains n’avait pas tardé à répliquer à son « néocolonialisme » décomplexé. Injustice ? Préjugé contre l’homme blanc qui a ravalé son dernier sanglot ? On ne peut pas écarter l’hypothèse que le président aux origines kenyanes soit en effet mieux placé en terre d’Afrique pour dire des « vérités » qui passent mal quand elles viennent d’un chef d’État français. Mais à comparer les textes, on est bien obligé de reconnaître que, si les deux discours ont quelques traits communs, les mots ne sont jamais les mêmes. La rhétorique répétitive du « je » n’a pas cours dans le propos de Barack Obama alors qu’elle est envahissante dans l’allocution de Sarkozy. L’un parle de l’Afrique ; l’autre parle surtout de lui-même. Mais il y a pire. Le président français est souvent inutilement blessant : « Je ne suis pas venu m’apitoyer… » Et puis, il y a cet « homme africain » « qui n’est pas entré dans l’histoire » , et à qui « il ne vient jamais à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin » . On ne saurait faire plus méprisant. Ni plus ignorant.
Et lorsque Obama refuse aux Africains « l’excuse » du colonialisme, Sarkozy, lui, en fait l’éloge. Souvenez-vous : « Le colonisateur a construit des ponts, des routes, des hôpitaux… » Comme si le projet colonial ne se jugeait pas globalement dans son intention dominatrice. Mais laissons là les « stéréotypes entêtés » du président français. Et reprenons la réplique d’un intellectuel africain, l’économiste Demba Moussa Dembélé. Celui-ci lui rappelait que « l’esclavage transatlantique avait contribué à l’accumulation primitive du capital » et à une « division internationale du travail imposée à l’Afrique et qui a fait d’elle un continent fournisseur de matières premières » [^2]. L’argument, cette fois, pourrait tout aussi bien s’adresser à Barack Obama. Affirmer, comme l’a fait le président américain, que le colonialisme n’est plus qu’un alibi, peut avoir éventuellement des vertus pédagogiques, qui s’apparenteraient un peu à la méthode Coué. Il n’en est pas moins évident que l’économie africaine porte encore en elle-même et dans sa relation à l’Occident la trace profonde et douloureuse de décennies de pillage colonial. Et il ne s’agit pas seulement de la trace d’un passé révolu. C’est une réalité d’aujourd’hui. Répondant à Sarkozy, Dembélé prenait l’exemple de « l’hypocrisie des subventions américaines qui fait chuter le prix du coton » . Et ces « pertes d’exportations [qui] contraignent les pays africains à s’adresser aux sources de financement extérieures » , ces « prêteurs » qui imposent ensuite leurs conditions. S’il fallait convaincre Barack Obama que le colonialisme est un peu plus qu’un mauvais souvenir, il faudrait lui rappeler que, longtemps après les proclamations d’indépendance, les pays africains n’ont pas été autorisés à lever des fonds sur les marchés des capitaux internationaux. Et qu’ils ont ainsi été livrés pieds et poings liés aux institutions financières [^3]. Celles-ci les ont contraints à ouvrir leurs marchés à une concurrence qu’ils ne pouvaient évidemment pas soutenir (voir l’exemple du coton) et à ne produire que des matières premières.
Encore une fois, on peut comprendre l’appel du président américain à rompre avec l’afro-pessimisme. Mais en évoquant la grande misère du continent noir comme s’il s’agissait d’une question morale, il occulte les responsabilités actuelles des Occidentaux, à commencer par celles des États-Unis. Encore laisse-t-on de côté ici le soutien que les grandes puissances apportent quasi systématiquement à des chefs d’État corrompus. L’affaire des « biens mal acquis » de la famille Bongo, du Camerounais Biya et du Congolais Sassou N’Guesso illustre à l’envi la propension post-coloniale à maintenir au pouvoir des « hommes de confiance » quoi qu’il en coûte à leurs peuples. Barack Obama n’a évidemment pas tort de « dénoncer [ces] dirigeants [qui] exploitent l’économie pour s’enrichir personnellement ». Mais qui les maintient au pouvoir ? Et combien de dirigeants occidentaux pourraient à propos de chefs d’État africains reprendre à leur compte la phrase de Richard Nixon évoquant un aimable dictateur panaméen : « C’est un fils de pute, mais c’est le nôtre ! »
Nous ne comptons pas cette fois parmi les laudateurs de M. Obama. Pour être plus habile et infiniment moins grossier que celui de Nicolas Sarkozy, son discours procède de la même logique. Il n’aurait de valeur (on n’ose pas ici employer le futur !) que si le président américain s’attaquait profondément aux causes du mal. Or, celles-ci renvoient à la globalité d’un système financier international qui marque toujours les rapports Nord-Sud.
[^2]: L’Afrique répond à Sarkozy, ouvrage collectif, éditions Philippe Rey, 480 p., 19,80 euros.
[^3]: Lire à ce sujet le livre de Sanou Mbaye, l’Afrique au secours de l’Afrique, les Éditions de l’Atelier, 160 p., 14,90 euros.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.