Pierre Lellouche, l’atlantiste

En nommant cet inconditionnel de Bush et de Nétanyahou secrétaire d’État aux Affaires européennes, Nicolas Sarkozy a délivré un message inquiétant.

Denis Sieffert  • 2 juillet 2009 abonné·es
Pierre Lellouche, l’atlantiste

l’incident a fait grand bruit. C’était le 5 avril dernier, sur France 5, au cours de l’émission « Ripostes », de Serge Moati. On y débattait du retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan. « Pour », Pierre Lellouche, le député UMP de Paris ; « contre », le sénateur de l’Essonne, Jean-Luc Mélenchon. Le premier a déjà longuement exposé son point de vue. Sans surprise. Quand le second entreprend de développer ses arguments, Pierre Lellouche joue l’obstruction. Une fois, deux fois, dix fois, il l’interrompt, interdisant à son contradicteur de parler. « Vous êtes aligné sur la CIA », finit par lui lancer Mélenchon. « Je suis peut-être CIA, lui répond l’autre, ivre de colère, mais vous, vous êtes un pauvre type, Mélenchon, minable, et si nous étions au XIXe siècle je vous provoquerais en duel et je vous flinguerais. »

Il y a quelques années encore, de tels mots et un tel comportement auraient réduit à néant les ambitions ministérielles de l’impétueux. Mais un président de la République qui lance « Casse-toi, pauvre con ! » à un importun, ou défie un pêcheur en grève de venir faire le coup-de-poing avec lui, ne peut plus s’offusquer de rien. Pierre Lellouche, nommé la semaine dernière secrétaire d’État aux Affaires européennes, est au diapason de nos mœurs politiques. Au fond, l’homme ressemble aux idées qu’il défend. Psychologiquement belliqueux, politiquement belliciste. En mars 2003, il avait pris position pour la guerre américaine en Irak, contre la position française défendue par Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Il est aujourd’hui, comme les États-Unis, farouchement partisan de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Même si ses nouvelles fonctions l’ont conduit ses derniers jours à atténuer l’expression de son désaccord sur ce point avec Nicolas Sarkozy.

Bref, comme dirait Mélenchon, celui-là est toujours en accord avec Washington, quitte à être en porte-à-faux avec son propre pays. On verra à l’usage si l’Amérique de Barack Obama suscite chez lui la même adhésion inconditionnelle que celle de George W. Bush. Car il y a un autre fil rouge dans la carrière politique de Pierre Lellouche. Cet ancien avocat d’affaires, né à Tunis en 1951 dans une famille d’artisans juifs, est aussi un fiévreux « avocat » d’Israël. Si les choses devaient se gâter entre Obama et Nétanyahou, il aurait sans doute à faire un choix douloureux. Dans tous les cas, l’intérêt de la France ou de l’Union européenne n’est probablement pas son déterminant principal. À moins de considérer qu’il doit y avoir aujourd’hui un camp Atlantique homogène face au monde arabo-musulman, comme jadis contre le bloc soviétique. Son premier engagement, en 1974, au sein d’un Groupe d’études et de recherches sur les problèmes internationaux, était surtout motivé par le développement d’Israël, où il séjourne alors à de nombreuses reprises, notamment en kibboutz.
Mais sa véritable entrée en politique date de 1989, lorsque Jacques Chirac, encore maire de Paris, fait de lui un conseiller diplomatique. En 1993, il conquiert pour le RPR un siège de député du Val-d’Oise qu’il arrache de haute lutte à Dominique Strauss-Kahn. À partir de 1997, il quitte la circonscription de Sarcelles pour devenir député des VIIIe et IXe arrondissements de Paris. En 2004, il devient président de l’Assemblée parlementaire de l’Otan. Le recyclage de l’organisation militaire transatlantique, privée de raison d’être depuis la chute du mur de Berlin, est sa grande affaire. Comme l’administration Bush, il n’a de cesse de la transformer en instrument de police internationale sous influence états-unienne.

Depuis mars dernier, ses fonctions de représentant spécial de la France pour la zone Pakistan-Afghanistan lui permettaient de plaider le renforcement de l’engagement français dans la région… sous le commandement de l’Otan. Sa carrière, en France, n’est pas exempte d’échecs, ni de scandales. En 2008, il a connu l’humiliation d’arriver bon dernier dans la course à la candidature UMP à la mairie de Paris, derrière Françoise de Panafieu, Claude Goasguen, et même Jean Tiberi. En 1998, adversaire acharné du Pacs, il avait proposé de « stériliser » les homosexuels.

Il s’en excusa… neuf ans plus tard. Le tableau ne serait pas complet si l’on omettait un farouche engagement pronucléaire. Il a été l’un des artisans de l’implantation du réacteur Iter à Cadarache (Bouches-du-Rhône). Il est membre du Comité de direction du Nuclear Threat Initiative, et du groupe d’études pour le renforcement des liens transatlantiques. Atlantiste, nucléariste, ultralibéral en économie, inconditionnel d’Israël, homophobe laborieusement repenti, querelleur, difficilement contrôlable, en tout cas depuis Paris, Pierre Lellouche inquiète. Était-ce vraiment le meilleur profil pour assurer l’indépendance de l’Europe face à la puissance américaine ? Sa nomination résonne comme un aveu dans le discours sarkozien. Pierre Lellouche incarnerait-il au fond ce que Nicolas Sarkozy pense et qu’il ne peut plus toujours dire ?

Monde
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