Dieu que la guerre est jolie
dans l’hebdo N° 1065 Acheter ce numéro
La presse, unanime, s’extasie : malgré la menace terroriste, l’Afghan(e) est allé(e) voter. Certes : sa participation au scrutin présidentiel a été « plus faible que prévu » , dès lors que beaucoup de votant(e)s ont négligé de se déplacer, non (seulement) parce que les talibans avaient promis de couper maint doigt, mais « tout simplement par désenchantement à l’égard d’une “reconstruction” de l’Afghanistan qui les laisse frustré[e]s » – comme l’a judicieusement relevé le Monde. Mais nos journaleux, qui osent tout, ont fait valoir que, tout bien pesé, l’abstention afghane, sous occupation étrangère, n’était guère plus significative que celle qui se donne à voir sous nos latitudes mieux civilisées, où l’électorat déserte également l’isoloir. Kaboul, en somme : c’est un peu comme Paris – à ceci près qu’on y trouve plus de burqas et moins de fadelamaras pour exiger leur (prompte) interdiction.
Le message, on l’aura compris, est que, bon an, mal an, la démocratie, portée par l’Occident, fait en Afghanistan de fascinants progrès, thank you l’US Army, et que par conséquent il faut être un(e) vrai(e) sale con(ne) élevé(e) à Munich pour exiger que les Yankees (et leurs fidèles supplétifs) s’en retournent chez eux.
Dans la vraie vie, naturellement, c’est un peu différent : sept ans après le déclenchement de la croisade bushique, les bombardements états-uniens font toujours plus de victimes « collatérales » – comme on dit poliment –, et même le big boss de l’état-major US, l’amiral Mike Mullen, qui n’est pas exactement un pacifiste allemand, constate que les talibans gagnent sauvagement du terrain (ceci expliquant cela).
Mais au fond cette réalité, moins contrastée il est vrai que leurs coutumières dissertations, n’émeut qu’assez peu nos éditorialistes belliqueux, dont nul bain de sang ne tiédit les ardeurs : Laurent Joffrin, décidément soucieux de cultiver son image d’expert de gros niveau, glapit dans Libération qu’il ne faut suuuuurtout pas se désengager du grand merdier afghan, parce que bon, mâme Dupont, opérer un retrait serait s’infliger « une défaite désastreuse » , et le toujours tendu Ivan Rioufol, du Figaro, hurle qu’il faut continuer de « mourir pour Kaboul » (étant bien sûr entendu que ce n’est pas du tout lui qui risque sa peau du côté de Mazar-e-Charif) pour la survie du « monde libre » (comme disait feu Ronnie Reagan).
On a déjà perdu le Tonkin, mâme Dupont. Rappelez-vous comment que nous nous déculottâmes devant les Rouges, nonobstant que déjà de courageux penseurs étaient prêts à faire tuer jusqu’au dernier soldat occidental : vous ne voudriez tout de même pas livrer à présent la planète au « totalitarisme islamiste » ?
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.