Souvenirs d’enfance
La fidélité à soi-même
est au cœur de
« Yanvalou pour Charlie »,
roman corrosif
de Lyonel Trouillot.
dans l’hebdo N° 1065 Acheter ce numéro
Yanvalou pour Charlie est sans doute l’un des livres les plus corrosifs qui aient été écrits sur la société haïtienne actuelle. Non seulement il offre une description sans concession de la misère qui opprime une grande partie de la population haïtienne habitant les quartiers éloignés des villes, où règnent la puanteur et la déliquescence, mais il contient aussi quelques charges redoutables contre ceux qui, prétendant soulager cette misère mais de loin, comme certains fonctionnaires d’ONG, ou « changer la vie en gardant les mains propres » , à l’image de jeunes révolutionnaires issus de la bourgeoisie, agissent en réalité d’abord pour eux-mêmes.
Reste que Lyonel Trouillot a une intelligence romanesque telle que sa colère ne s’exprime jamais aux dépens de la littérature, ou en instrumentalisant celle-ci. S’il raconte, dans ce roman, une histoire autour d’adolescents vivant dans un foyer pour enfants abandonnés qui s’adonnent à des quatre cents coups de plus en plus dangereux, il le fait en variant les points de vue, selon quatre regards différents, proposant ainsi une approche de la réalité dépeinte qui ne cède pas au simplisme.
Quatre personnages sont donc les narrateurs successifs de Yanvalou pour Charlie : Mathurin, jeune avocat d’affaires qui a tiré un trait sur son passé de pauvre ; Charlie, un loqueteux du foyer situé dans le quartier déshérité qui fut celui de Mathurin, et qui déboule dans le bureau de l’avocat pour lui demander de l’aide ; Nathanaël, la tête pensante du petit groupe d’enfants devenus des malfaiteurs, qui parle comme un narrateur omniscient ; et Anne, amour de jeunesse de Mathurin, qui, elle, est restée sur place pour tenter d’y construire son existence.
Charlie tire Mathurin par la manche vers un monde qu’il a renié. Nathanaël, lui, fait exploser son groupe d’amis pour, croit-il, les idées libératrices d’une jeune et jolie révolutionnaire de salon. Il y a au cœur de Yanvalou pour Charlie une thématique récurrente : la fidélité à soi-même. Non que le roman sous-tende l’idée qu’aucune évolution individuelle et collective n’est possible sans trahison. Mais Mathurin et Nathanaël, l’un en ayant rayé de sa vie son milieu d’origine par l’oubli volontaire, l’autre en s’égarant dans une lutte dont les termes lui sont étrangers, perdent les autres en route autant qu’eux-mêmes.
Dans Yanvalou pour Charlie , Lyonel Trouillot a mis sans doute beaucoup de sa révolte à voir des enfants ainsi délaissés dans le pays qui est le sien ; mais il ne s’est pas départi pour autant de sa tendresse et de sa compréhension pour ceux qui tentent de s’en sortir, de quelque manière que ce soit. À sa façon, sans lyrisme, Yanvalou pour Charlie continue à chanter une idée trop souvent piétinée : la fraternité.