Des usagers mobilisés malgré tout

Dix jours avant le dépouillement de la votation citoyenne, le 3 octobre, des citoyens se font entendre pour défendre les valeurs du service public et une certaine idée du vivre-ensemble.

Pauline Graulle  • 24 septembre 2009 abonné·es

À Moyeuvre-Grande, petite commune de Moselle, le 14 janvier 2009 restera longtemps gravé dans les mémoires. Ce jour-là, une vingtaine de Moyeuvriens bravaient le froid pour barrer la route en bas de leur cité HLM. « Il y avait des jeunes, des vieux, des handicapés… », raconte Nicole Kirch, agente d’entretien des espaces verts au chômage. La ­raison de cette manifestation ? Inviter les automobilistes et les passants à voter contre la privatisation de La Poste. Signature de la pétition, interpellation du maire, « les jeunes sont même allés faire du porte-à-porte au commissariat, poursuit Nicole Kirch. C’était humainement très fort… Des gens qui n’ont aucun espoir, qui vivent dans la misère, se sont pour une fois sentis concernés : ils voulaient sauver leur facteur ! Les postiers étaient ravis. Ils nous ont offert un café, et on s’est tous réunis autour d’eux, comme une grande famille… »

Faire entendre sa voix, revendiquer le pouvoir d’agir ensemble, voilà ce que propose la « votation citoyenne contre la privatisation de La Poste ». Organisée du 28 septembre au 3 octobre un peu partout en France, elle a donné son coup ­d’envoi il y a un an à Thionville, avec la campagne « Bureau de poste, bureau de vote ». Orchestrée par Gilbert Nucera, secrétaire local du PCF, l’opération consistant à adresser par voie postale un bulletin de vote à l’Élysée a rapidement fait boule de neige. De la Moselle à la Meuse, puis dans les Vosges, elle s’est étendue à toute la Lorraine. Dans cette région durement touchée par la crise, minée par la désindustrialisation, défigurée par la révision de la carte judiciaire et militaire, le succès de la mobilisation pour sauver les restes de ce qui fait société a dépassé les espérances.

De passage à Thionville en janvier 2009, Charles Piaget, le meneur de la fronde des Lip dans les années 1970, et Augustin Legrand, animateur des Don Quichotte, avaient manifesté leur soutien à l’initiative citoyenne en déposant leur bulletin dans la boîte aux lettres. Rachida, mère au foyer qui conduit la votation dans un quartier sensible de la ville, avait fait de même. Comme Alain, syndicaliste à la CGT-cheminots, qui prône la convergence des luttes, et Thierry, chauffeur de taxi : « Avec la fermeture progressive d’Arcelor-Mittal à Gandrange, on a de moins en moins de boulot, explique-t-il. Avec sept autres chauffeurs, on a donc proposé aux clients de les emmener voter gratuitement. Vous comprenez, quand tout s’écroule autour de vous, il ne reste que La Poste. »
La Poste, dernier rempart à la destruction du « vivre-ensemble » par les logiques financières du libéralisme ? C’est le message qu’entendent faire passer les 75 comités locaux partis en campagne pour la votation citoyenne. Des Bouches-du-Rhône à la Bretagne en passant par la Seine-Saint-Denis et Paris, ils regroupent l’intersyndicale, les associatifs (Ligue des droits de l’homme, Attac, Droit au logement, etc.) et l’ensemble des partis de gauche. Même le PS, qui veut peser dans le débat à l’approche des régionales, s’est engouffré dans la mobilisation. « Le parti a manqué pas mal de coches, notamment la privatisation de l’énergie, reconnaît Bernard Combes, maire socialiste de Tulle en Corrèze (remplaçant de François Hollande, NDLR). Or, aujourd’hui, la Poste est un bastion emblématique. »

Alors, dans l’espoir d’atteindre la barre symbolique du million de votants le 3 octobre, on s’organise. Les comités ont envoyé des centaines de courriers aux maires, aux élus des collectivités locales, aux députés et aux sénateurs. Selon Nicolas Galépidès, l’administrateur du site Internet de la campagne, la mayonnaise prend peu à peu. Sous différentes formes : organisation du vote dans les mairies ou mise à disposition de locaux, encarts de pub dans le journal municipal, distribution de tracts dans les boîtes aux lettres, sur les marchés ou aux abords des postes… « Le projet de loi est sorti en plein mois de juillet, il s’agit donc d’abord d’informer la population » , explique Gilles Leproust, maire PCF d’Allonnes, dans la Sarthe, qui déploiera une « monumentoile » de 4×3 mètres sur le fronton de l’hôtel de ville. « J’ai aussi écrit à François Fillon [élu de la Sarthe, NDLR] pour qu’il nous envoie sa profession de foi, comme dans une élection réelle. On n’a pas encore eu de réponse… » , sourit-il.

Si les élus de gauche se prêtent au jeu, l’ambiance est plutôt au « pas vu, pas pris » dans les rangs de Nicolas Sarkozy. « Certains maires de droite acceptent de ­prêter l’urne parce que leurs administrés viennent se plaindre que leur bureau de poste ferme de plus en plus tôt, ou parce qu’il a été supprimé. Mais ils nous disent qu’ils ne veulent surtout pas que ça se sache ! » , confie une syndicaliste SUD-PTT à Rouen. Vanik Berbérian, maire MoDem d’un village de l’Indre et président de l’Association des maires ruraux de France, assure qu’ « aucune consigne n’a été donnée, chaque élu fait comme il le souhaite » . Celui qui dit s’accommoder de la transformation du bureau de poste local en « agence postale communale » (déménagée à l’office du tourisme) ne s’engagera pas dans la votation : « La question du référendum est mal posée, le changement de statut de La Poste en société anonyme ne signifie pas automatiquement sa “privatisation”. »
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Pourtant, plane au-dessus des têtes le sort de France Télécom. La sœur jumelle de La Poste au temps des PTT, devenue société anonyme en 1996 et dont le capital fut ouvert au privé huit ans plus tard. *« La transformation de La Poste en SA ouvre les vannes aux licenciements économiques,
déplore Sébastien Delabarre, secrétaire général adjoint de SUD-PTT-Haute-Normandie, qui partage encore ses bureaux avec la section France Télécom. Jean-Paul Bailly [président du groupe La Poste, NDLR] l’a avoué à demi-mot en assurant qu’“il n’y aura [it] pas de plan social avant 2012” ! » N’empêche. « Depuis le début de l’année, 8 000 emplois ont été supprimés, affirme Jean-Luc Jacques, président de la CFTC Poste et leader du comité du Limousin. La direction a incité aux départs en préretraite. Elle a trouvé preneurs, car les postiers en ont ras-le-bol des méthodes de management. Et pour ceux qui restent et qui doivent faire plus avec moins de collègues, c’est la double peine. »

Mais, après la journée de grève des postiers le 22 septembre, la réussite de la votation implique de dépasser les considérations professionnelles stricto sensu. « La bataille des services publics ne doit pas être l’affaire des fonctionnaires, mais celle des citoyens » , souligne Jean-Michel Drevon, syndicaliste à la FSU. Le syndicat de l’Éducation nationale et de Pôle emploi organise ainsi avec l’Unef, le syndicat des étudiants, des votations dans les Crous, mais aussi dans les écoles primaires pour que les parents d’élèves puissent venir voter.

Pour les convaincre, il suffira de leur montrer combien les logiques de rentabilité et de concurrence ne font pas bon ménage avec les missions de service public que sont l’aménagement du territoire ou l’accès des plus modestes à un compte bancaire. Et de brosser l’horizon qui se dessine : la mort annoncée du prix unique du timbre, l’accélération de la disparition de ce service de proximité dans les communes de moins de 4 000 habitants (voir carte) et même les incertitudes quant à la distribution du courrier « à la maison »… « Je connais des personnes âgées qui s’abonnent à un quotidien uniquement parce qu’elles savent que le facteur viendra les voir tous les jours » , souligne Bernard Combes.
Au fond, bien plus que la seule question postale, la privatisation interroge sur la sauvegarde du lien social, sur le maintien de la ruralité, sur la garantie de l’accès de tous à leurs droits… Un véritable choix de société.

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Ils veulent casser La Poste
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