Faut-il revenir aux quotas laitiers ?
La crise du lait est la conséquence de la libéralisation de la production. Toutefois, selon la Confédération paysanne, une grève n’est pas souhaitable, car elle pourrait conduire à des faillites.
dans l’hebdo N° 1068 Acheter ce numéro
Les médias affolent les foules en se demandant si le pays va connaître une pénurie de lait, du fait de la grève de certains producteurs. Ce qui fait enrager Philippe Collin, porte-parole de la Confédération paysanne : « Il n’existe aucun risque de pénurie puisque le lait de consommation ne représente que 3 ou 4 % de la production. Il n’existe pas plus de risque pour le lait frais que pour le pasteurisé. Le reste se vend en briques de lait UHT de longue conservation, et l’essentiel va à la transformation industrielle. Il serait préférable d’analyser les causes de la crise, liée à une libéralisation de la production et du commerce, et d’examiner la situation de beaucoup de producteurs. Faire la grève, cela signifie jeter dans les égouts ou dans les fosses à lisier : c’est spectaculaire, mais cela n’améliorera guère l’image des paysans. »
L’agriculteur reconverti en bio explique que la Confédération soutient le mouvement, « mais n’appelle pas à une “grève du lait”, inefficace puisque les industriels de l’agroalimentaire ont des réserves et peuvent se fournir ailleurs. Notamment en Nouvelle-Zélande et en Australie, qui exportent les deux tiers de leur production sous forme de poudre de lait et de beurre utilisés par les usines de transformation. Et l’Union européenne dispose d’un stock de 400 000 tonnes de beurre qu’elle peut mettre sur le marché pour aider les industriels à résister au mouvement. » Car un problème échappe à beaucoup de citadins : les vaches ne peuvent pas faire grève, et il faut les traire tous les jours.
Ancien porte-parole de la Confédération et producteur de lait bio dans la Manche, François Dufour avance une autre explication à la situation actuelle. Il rappelle qu’il y a deux ans les producteurs ont applaudi la suppression des quotas, qui constituait une forme de régulation, et qu’ils ont essayé individuellement de s’en sortir et d’écraser les autres. Constatant les dégâts de ce libéralisme, ils redeviennent partisans d’une modération de la production. « À cette époque, dit François Dufour, à la Confédération, nous avons dénoncé le danger, appelé à une maîtrise de la production. Les producteurs nous ont répondu, avec le soutien de la FNSEA : “Circulez, il n’y a rien à voir, on ne bride pas un marché qui s’ouvre.” Aujourd’hui, ils comprennent, mais trop tard. Ils doivent faire face à une véritable hécatombe qui n’a rien à voir avec la crise économique et tout à voir avec le libéralisme débridé. Les quotas, ce n’était pas mirobolant, mais cela équivalait à une sorte de droit antidélocalisation. »
Quand il parle d’hécatombe, Dufour se réfère à la disparition des petites et moyennes exploitations. Il a participé à une enquête pour le compte du Conseil économique et social de sa région et a été effaré d’entendre les « fonctionnaires » de l’Office du lait lui expliquer qu’un producteur sur deux devrait disparaître d’ici à 2013. D’où sa colère : « Nous avons déjà perdu 80 % des exploitations laitières depuis 1984, année de la mise en place des quotas, et on nous dit maintenant qu’il faut faire encore plus de chômeurs, puisqu’on ne sait pas où et comment les reclasser. La FNSEA, avec les pouvoirs publics, a poussé à l’installation de robots de traite qui fonctionnent jusqu’à quatre fois par jour. Résultat, les vaches ne sortent plus manger d’herbe et sont nourries avec du maïs et du soja OGM brésilien. »
Une autre conséquence, pour François Dufour, est que, « sans la petite protection juridique des quotas, la production du lait est peu à peu transférée dans le Maghreb et en Europe orientale. Là-bas, comme de plus en plus souvent en France, s’organise une production de lait “hors sol”, production à la fois standardisée, polluante et délocalisée. Les vaches ne savent plus ce qu’est l’herbe, ne ruminent plus : des machines à pisser le lait, dont l’organisme est rapidement détruit » . Et les surfaces enherbées, y compris dans les zones de marais, vont être transformées en terres à maïs pour alimenter, en Normandie, les deux usines d’agrocarburant de Rouen.
Dans son exploitation de la Manche, François Dufour, avec sa modeste production de 320 litres en bio, prouve qu’une autre agriculture est possible, puisque le prix de son lait est à la hausse et qu’il réussit à en vivre, car la demande de ce produit est en augmentation constante depuis quelques années. Avec la luzerne, dont il prévoit une cinquième fauche en octobre.