Grandeur et décadence du Quai d’Orsay
La politique étrangère de la France s’inscrit de plus en plus dans le sillage américain. Devant les ambassadeurs réunis à l’Élysée, Sarkozy a de nouveau justifié son allégeance à l’Otan. La réforme des Affaires étrangères opère des coupes sans précédent dans les budgets culturels.
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Depuis dix-sept ans, la traditionnelle conférence des ambassadeurs sonne la fin des vacances politiques. Elle donne l’occasion au président de la République d’affirmer sa « vision du monde » et de fixer les priorités de la diplomatie française.
Mercredi dernier, Nicolas Sarkozy n’a pas dérogé à la règle. Il avait commandé à sa fidèle plume Henri Guaino – qui, comme lui, ne porte pas les diplomates dans son cœur – un discours « offensif et de gauche ». Après avoir souhaité la bienvenue aux membres du gouvernement, du Parlement et à « ses Excellences » les ambassadeurs, Nicolas Sarkozy a salué son « cher Michel » (Rocard), installé au premier rang.
Ponctuée d’autant de coups de menton, de clairon et d’épaule, l’allocution a commencé par s’en prendre à tous les « irresponsables » qui ont plongé le monde dans la crise économique la plus grave depuis celle de 1929. S’exprimant devant « le tribunal de l’opinion publique internationale » , Nicolas Sarkozy a prévenu que « la France sera intraitable » pour remettre de l’ordre dans la jungle financière, annonçant le prochain sommet du G20 à Pittsburg (24-25 septembre) comme celui de la fin de l’histoire, entendue comme une mise au pas « définitive » du capitalisme sauvage.
Les banques américaines, suisses et la BNP sont prévenues, et les profiteurs « irresponsables » n’ont qu’à bien se tenir, parce que « l’État a retrouvé toute sa place » pour corriger les crampes de la main invisible du marché… La preuve : « La France est de nouveau, entre l’Allemagne et le Royaume-Uni, la 5e puissance du monde » , a lancé Nicolas Sarkozy à des ambassadeurs quelque peu dubitatifs en l’absence de preuves chiffrées.
Comme en patinage artistique, les figures imposées veulent ensuite qu’on brise quelques lances sur l’Europe qui « doit faire le XXIe siècle sans le subir » . Après un flirt raté avec la perfide Albion, Nicolas Sarkozy se recentre sur le couple franco-allemand grâce, a-t-il dit, à « l’amitié qui me lie à Angela Merkel » . Après la présidence française (2e semestre 2008), l’UE, elle aussi, est de retour comme puissance économique, politique et militaire, car si la France est à nouveau dans le commandement intégré de l’Otan, c’est pour mieux défendre la conception d’une « Europe-puissance », donc d’une Europe de la défense. À ce moment du discours, nos Excellences se tournent vers leur ministre, parce qu’on murmure déjà dans les coulisses du Quai que « BK » (Bernard Kouchner) pourrait prochainement succéder à Javier Solana comme Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
Mais c’est au chapitre de la gouvernance mondiale que Nicolas Sarkozy sera le plus démagogue, appelant de ses vœux une réforme du FMI et de la Banque mondiale tout en redécouvrant les bienfaits des Nations unies. Dans la perspective de la conférence de Copenhague sur le réchauffement climatique, il ressort une vieille idée de Jacques Chirac : la création d’une agence onusienne de l’environnement, en préconisant une coordination de ce nouvel outil multilatéral avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation internationale du travail (OIT), afin de « multilatéraliser le multilatéral »…
Viennent ensuite les crises. À commencer par celle du Proche-Orient, où Nicolas Sarkozy se fait encore plus chiraquien que ne l’aura jamais été l’ancien président de la République, décrétant que le conflit israélo-palestinien « concerne le monde entier » . Dans le sillage de la Maison Blanche, il se prononce « très clairement pour le gel de la colonisation et pour la création d’un État palestinien ». Mais, « comme on ne peut pas être francs avec les uns et hypocrites avec les autres » , il enchaîne aussitôt en se prononçant pour de « nouvelles sanctions économiques sévères » contre l’Iran, qui ne veut toujours pas renoncer à la bombe atomique. Derrière ce potlatch diplomatique qui n’abuse personne – de nouvelles sanctions contre l’Iran ayant toute chance d’être adoptées avant qu’on n’aperçoive le plus petit début de la création d’un État palestinien –, Nicolas Sarkozy en profite pour se poser en médiateur entre la Syrie et Israël.
Défendant et justifiant l’augmentation de l’engagement français en Afghanistan, le Président invite les maîtres du monde et les diplomates, pour la quinzième fois, à « faire preuve de responsabilité » . Il conviendra aussi de « réinventer la pensée et l’action » , car « tout dépend de notre volonté » , conclut Nicolas Sarkozy. Avant de tourner les talons, il remercie pour la troisième fois BK, qui, « sur tous ces dossiers, ne ménage pas sa peine » , notamment par la mise en chantier de la réforme du Quai. Attendu sur le sujet, le ministre n’a pas vraiment convaincu. Mais de quoi s’agit-il ?
Pour l’essentiel, de modifications d’apparence administrative. La Direction générale pour la coopération internationale et le développement (DGCID) est absorbée par la Direction économique – signe des temps ! –, qui devient une nouvelle Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGMDP). En principe, celle-ci devrait se recentrer sur la stratégie, l’expertise et la prise en compte de la globalisation des problèmes. Une direction de la prospective reprend les compétences de l’ex-CAP (Centre d’analyses et de prévisions). Le nouveau Centre de crise, qui regroupe les activités de la Délégation à l’action humanitaire et de la Sous-Direction chargée des problèmes de sécurité des Français à l’étranger, est officialisé. Par ailleurs, le classement des ambassades en trois catégories (grande, moyenne, petite) est confirmé, pour faire des économies et non pour répondre à des priorités politiques.
Alors que Radio France internationale (RFI), fleuron de l’audiovisuel public extérieur, est en train d’être démantelée, le projet de nouvelles agences chargées de l’action culturelle extérieure et de la coopération confirme la généralisation du recours à des opérateurs extérieurs au détriment des administrations centrales et régaliennes. Occultant toute réflexion de fond sur la politique extérieure française, sur ses objectifs et ses priorités, évitant tout débat sur l’influence déclinante de la France, « cette réforme, relèvent de nombreux ambassadeurs, ne vise qu’à masquer une diminution des budgets et des effectifs. La vérité est que BK est incapable de défendre son ministère ». Ils en viennent à regretter Philippe Douste-Blazy !
Il est vrai que les coupes sont drastiques, allant de 20 à 50 % dans certains secteurs. Ainsi, la politique du livre (aide à la publication, soutien à la traduction, etc.) subit une baisse de 50 % sur un an. Idem pour le cinéma, la coopération universitaire et les programmes de recherche. Les subventions ne servent plus qu’à payer loyers et factures d’électricité des instituts et centres culturels. Comment, dans ces conditions, accroître le cofinancement des programmes de coopération si l’on ne dispose pas d’un minimum de soutien de l’État ? Précision significative de François Fillon, qui veut faire croire aux ambassadeurs qu’il y aura une rallonge : « Il faut maintenant que la réforme du réseau permette des économies de personnel et de moyens décidées par le Comité de modernisation des politiques publiques [sic]. »
Amères et démobilisées, nos Excellences – que l’on jette dehors à partir de 50 ans – l’ont bien compris : pourquoi faudrait-il renflouer le Quai alors que notre politique étrangère se décide à l’Élysée et que le ministre français des Affaires étrangères s’appelle Claude Guéant ?
Dans cette débâcle, une histoire a valeur de symptôme : celle du départ de l’ancien secrétaire général du Quai Gérard Errera pour le groupe américain Blackstone. Sans même observer un délai minimum de décence, et après avoir fait nommer son fils Philippe directeur de cabinet de BK, l’ex-secrétaire général part ainsi avec son carnet d’adresses sous le bras pour se mettre au service de l’une des plus grandes sociétés américaines d’investissements et de conseils. Bel exemple de mondialisation « responsable ». La très officielle Commission de déontologie n’a rien trouvé à y redire. Vraiment, l’État français et sa diplomatie sont de retour…