La guerre tambour battant

Avec « Apocalypse », France 2 lance une série pédagogique à gros budget sur la Seconde Guerre mondiale, non sans quelques défauts.

Jean-Claude Renard  • 3 septembre 2009 abonné·es

Berlin, 1945. La ville s’effondre sous le torrent de bombes. Dans les décombres fumants, les femmes vont payer le prix fort de la barbarie nazie. Les images se ­suc­cèdent à un rythme accéléré, devant le commentaire de Mathieu Kassovitz, avant de revenir brutalement sous le banc-titre : Berlin, 1932. Treize ans plus tôt, dans une Allemagne en crise. Un monument aux morts rappelle les victimes de la Grande Guerre. Marlène Dietrich chante « l’Ange bleu », Thomas Mann savoure son prix Nobel de littérature (décerné en 1929). Berlin se veut capitale de la culture européenne, l’une des plus libres au monde. L’année suivante, l’Allemagne va basculer sous le poids des SA et l’accession d’Hitler au pouvoir. Le peuple n’est pas encore tout à fait acquis à la cause, la propagande de Goebbels va y pourvoir.

Tel est le début de cette série documentaire, Apocalypse , déployée en six volets (6 x 52 minutes) et diffusée sur France 2 à l’occasion de la commémoration du 70e anniversaire du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Réalisé par Daniel Costelle et Isabelle Clarke ( Eva Braun, dans l’intimité d’Hitler ; les Ailes des héros ; la Traque des nazis ), Apocalypse est d’abord un film bâti sur les archives. C’est aussi une avalanche de moyens : 30 mois de travail, du premier scénario à la livraison de la série, 650 heures de rushes collectées et 46 sources différentes, 16 mois de montage, une centaine de jours de restauration des images. La série a les qualités de ses défauts. Le rythme emballé en premier lieu (en moins de douze minutes, le téléspectateur avale les sept années de 1932 à 1939. Raccourci hardi !). Avec un montage très serré, un plan chassant l’autre (800 plans par épisode, se targue le dossier de presse), pas moyen de respirer dans cette série. 39-45 cul sec. Avec un aspect « la Seconde Guerre mondiale pour les Nuls ». Et l’impression de pousser du côté du spectaculaire, une impression rehaussée par la musique de Kenji Kawai ( Avalon, Ring, Ghost in The Shell ), tantôt ronflante, tantôt émotive.

Près de six heures de documentaire, et pourtant rien sur le rôle de l’Espagne franquiste, ni sur les pays scandinaves, rien sur la Résistance, en France ou ailleurs, avant l’année 1943, rien sur le passage d’une bombe atomique préconçue en Allemagne, affinée aux États-Unis via le transfuge des chercheurs allemands… Et des évocations de tel lieu ou tel combat à saute-mouton (les Cosaques SS, notamment)…
Reste que l’un des intérêts de la série est de retranscrire la « mondialisation » du conflit. De la façade Atlantique au Japon. D’Alger à Stalingrad. De Nouvelle-Guinée en Sicile. Autre volet essentiel : le travail de François Montpellier sur la colorisation des images, sans tomber dans le piège des couleurs acidulées (lequel préfère parler de « restitution de couleurs et de restauration, au sens historique du terme » ), donnant à l’évidence plus d’impact, plus de densité et d’actualité aux images, visant également à gagner plus d’audience. Une minute de film a nécessité trois jours de recherches, « de vérifications maniaques, de précisions historiques sur la couleur de tel uniforme, de tel véhicule, de telle arme », précise Daniel Costelle. Seules les archives relatives à la Shoah sont restées en noir et blanc. Pour Costelle, il s’agissait de « ne pas donner prise au négationnisme. En choisissant de montrer ces images telles quelles, sans aucune intervention technique, nous ne laissons aucun doute sur leur authenticité et sur la réalité des faits qu’elles montrent. Personne ne pourra y trouver matière à supercherie ». De fait, les esprits mal intentionnés pourront alors s’interroger sur une éventuelle supercherie des autres images.

Surtout, la somme d’archives est ici considérable, avec 50 % d’images inédites, puisées dans les archives nationales de tous les pays acteurs du conflit mais aussi dans les greniers familiaux, le réservoir des cinéastes amateurs, des images illustrées par un nombre important de correspondances lues, apportant une force de proximité, de vécu de la guerre dans ses entrailles, avec ses petites gens, sa foule de soldats anonymes dans une brinquebale qu’ils n’ont pas choisie. In fine, Apocalypse peut s’enorgueillir d’un réel souci pédagogique (en tout cas pour les plus jeunes générations, malgré quelques images âpres et insoute­nables) auquel participe France 2, diffusant deux volets en prime time trois semaines durant.

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