« L’Armée du crime » : Vivre et résister
L’Armée du crime , le film de Robert Guédiguian, relate les faits d’armes du groupe Manouchian durant la Seconde Guerre mondiale. En évoquant le combat de ces hommes « aux noms difficiles à prononcer », le cinéaste nous parle discrètement de notre époque. De la France des Sarkozy, Besson, Hortefeux, dure aux immigrés et dénuée de projet.
dans l’hebdo N° 1068 Acheter ce numéro
Plus de cinquante ans après la publication du poème de Louis Aragon, mis en musique par Léo Ferré, Robert Guédiguian a réalisé un film s’inspirant des faits d’arme de Missak Manouchian et de ses compagnons. Le choix du titre, l’Armée du crime , est un programme. Car si cette appellation est due à l’origine aux oppresseurs, qui l’apposèrent sur la fameuse « Affiche rouge », celle-ci devint très rapidement le symbole de la résistance des étrangers en France. L’œuvre splendide de Guédiguian est tout dans ce renversement de sens. Juvénile, généreux, rayonnant, l’Armée du crime est un film ensoleillé, comme saisi d’une pulsion vitale.
Pourtant, rien n’y est gommé : l’antisémitisme, l’anticommunisme et le sadisme de la police française couchée aux pieds des nazis, l’abjecte propagande vichyssoise diffusée par la radio française, la peur et le désespoir provoqués par les rafles, et, bien sûr, l’odeur de la mort. Celle qu’on reçoit, mais celle aussi que donnent ces jeunes gens en colère. « Il suffit que la haine soit assez vivante, pour qu’on puisse en tirer quelque chose, une grande joie, non pas d’ambivalence, non pas la joie de haïr, mais la joie de vouloir détruire ce qui mutile la vie » , a écrit Gilles Deleuze dans une phrase qu’on croirait sortie de l’Armée du crime.
Robert Guédiguian signe une tragédie. Avec des héros portés par l’exigence de leur idéal qui les conduit vers un destin assumé. Mais ces héros, pris dans leur quotidien, ne sont ni lointains ni abstraits. Par l’intelligence de son scénario, la tension de sa mise en scène et la qualité de ses interprètes (Simon Abkarian, Virginie Ledoyen, Grégoire Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin, Adrien Jolivet, Lola Naymark et beaucoup d’autres), l ’Armée du crime s’offre aux spectateurs d’aujourd’hui non seulement comme un spectacle vibrant et inspiré, mais aussi comme une invitation à partager l’esprit de justice, de liberté et de résistance. S’affirme ici une certaine idée du cinéma. Il y en a de moins bonnes.