Pendant la crise, la casse continue
dans l’hebdo N° 1069 Acheter ce numéro
La privatisation de La Poste est un formidable démenti apporté à tous les discours anesthésiants sur la « fin du néolibéralisme ». La mise en concurrence des services publics, au centre de la politique européenne, très activement soutenue par tous les gouvernements français depuis plusieurs décennies, continue de provoquer ses effets attendus, en particulier la vente par appartement du secteur public français. L’ironie, ou plutôt le cynisme de l’époque, veut que cette privatisation survienne au moment où la logique de concurrence imposée à France Télécom dévoile ses effets meurtriers : les deux branches des ex-PTT risquent de connaître le même désastre humain.
Il faut rappeler que les pratiques managériales qui y sont mises en œuvre ne relèvent pas de l’erreur ou de la maladresse des dirigeants mais d’une stratégie consciente déployée depuis longtemps pour briser toute la culture du service public et supprimer les emplois de fonctionnaires. C’est bien ce que peuvent craindre les postiers lorsque, demain, ils seront exposés encore plus aux effets de la concurrence, et c’est d’ailleurs le but recherché. C’est ce qui est déjà en cours : fermeture de bureaux, racolage financier de la Banque postale, priorité aux « clients professionnels », distribution de publicité à hautes doses, transformation des bureaux en boutiques, sur le modèle de la Deutsche Post, qui, sur ce plan, a quelques longueurs d’avance dans la stratégie « business ».
La défense du service public ne concerne pas les seuls agents. Défendre l’hôpital public ne peut reposer sur les seuls personnels soignants, défendre l’école publique ne peut être le fait des seuls enseignants. Ce ne sont pas des luttes apparemment catégorielles, aussi légitimes soient-elles, qui peuvent suffire à contrer la destruction du patrimoine commun et la rupture d’égalité devant le service public. Dans cette morne période, marquée par la désespérante désunion de la « gauche de la gauche » et par l’impasse actuelle de la mobilisation syndicale, l’initiative du Collectif national contre la privatisation de La Poste apporte un peu d’espoir. L’organisation d’abord : la réunion de plusieurs dizaines d’associations, de partis et de syndicats pour faire cause commune est en soi une bonne nouvelle : l’unité l’emporte sur la fragmentation. La forme d’action ensuite : le référendum populaire vise à faire entendre une voix commune de citoyens, un peuple réuni autour d’un bien commun à défendre, une collectivité soucieuse d’égalité. Peut-être La Poste se prête-elle particulièrement à cette forme de mobilisation citoyenne. En dépit de sa commercialisation progressive, elle est encore un vrai réseau qui crée et incarne un lien social et géographique par la distribution du courrier, et qui reste la banque des plus modestes. Sans parler de ce que représente le facteur dans l’imaginaire en France, à côté de l’instituteur ou de l’infirmière : un faiseur de communication, un travailleur du lien social, une preuve vivante de la solidarité.
Quels que soient ses résultats, cette initiative a déjà comme vertu de montrer combien il serait vain de croire au « retour de l’État », à la « mort de l’ultralibéralisme » et autres enfumages idéologiques. Pendant la crise, la casse continue, et plus fort que jamais.