Une unité bien laborieuse
Les centrales peinent à préserver la dynamique unitaire des mobilisations de l’année, aux prises avec la radicalisation de certains mouvements et la course à la représentativité orchestrée par la CGT et la CFDT.
dans l’hebdo N° 1066 Acheter ce numéro
Se rencontrer « le plus tôt possible » en prévision de nouvelles « mobilisations » sociales. Tel est le souhait exprimé par Bernard Thibault, convié par la CFDT à son université d’été, à Boissy-la-Rivière (Essonne). Mais aucune date n’a encore été fixée. C’est dans une rentrée qui s’annonce inquiétante sur le front de l’emploi et agitée pour les syndicats que le secrétaire général de la CGT a lancé cet appel. Les deux principales centrales vont devoir en effet affronter de nombreux problèmes dans les prochains mois, en particulier celui de leur légitimité mise à mal par le gouvernement et le fait qu’elles sont confrontées à la radicalisation de certains mouvements sociaux, comme cela a été le cas chez Sony, Caterpillar, Molex, Faurecia, 3M, Scapa, Continental, New Fabris et Nortel.
Les prochains mois seront aussi marqués par les suites de l’alliance de circonstance passée entre le Medef, la CFDT et la CGT au moment de la signature de la loi sur la représentativité syndicale en 2008. Celle-ci a ouvert la voie à une recomposition du paysage syndical sur mesure pour les deux principales confédérations et suscite toujours la critique. Une réforme qui a « accouché d’un monstre bientôt incontrôlable » , a estimé le dirigeant de la CFTC, Jacques Voisin, lors de son université d’été. Secrétaire général de l’Unsa, Alain Olive qui espérait un « grand pôle réformiste » y a vu une « erreur historique » . Le monopole syndical de la CGT et de la CFDT limite en effet toute velléité de changement, malgré des dissidences plutôt favorables à l’Unsa et surtout à la plus mouvementiste Union syndicale Solidaires, qui regroupe les syndicats SUD.
Il n’est donc pas surprenant de voir les deux centrales se serrer les coudes. L’invitation de Bernard Thibault à l’université d’été de la CFDT est une première qui sera sans doute l’objet de débats intenses lors du prochain congrès de la CGT en décembre. D’autant que la logique d’un syndicalisme réformiste poussé par la CFDT et amorcé par la CGT a connu un revers magistral quand le gouvernement a écarté toute négociation sociale autour du travail le dimanche et mis ainsi en difficulté la CFDT.
Au sein de la CGT, le malaise des militants syndicaux a connu son point d’orgue médiatique avec les propos tenus par Xavier Mathieu, délégué syndical CGT à l’usine Continental de Clairoix, critiquant « les Thibault et compagnie […], juste bons qu’à frayer avec le gouvernement, à calmer les bases. Ils servent juste qu’à ça, toute cette racaille » . « Au vu des attaques contre le monde du travail […], rien ne semble arrêter le gouvernement et le grand patronat » , a renchéri l’union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, qui organisera un meeting le 10 septembre à Marseille.
Face au gouvernement et au patronat, « le syndicalisme peut apparaître pour beaucoup de salariés et de syndiqués comme n’étant pas en mesure de stopper le rouleau compresseur, même s’il a su se rassembler cette année pour des manifestations historiques et qu’il envisage de s’unir encore. Alors que faut-il faire ? Se décourager ? Se résigner à revendiquer des primes de départ puisque l’emploi ne serait plus gagnable ? Certainement pas ! » , ajoutent les cégétistes.
En plein conflits locaux contre les fermetures d’usine, Jean-Pierre Delannoy, responsable régional de la fédération de la métallurgie CGT du Nord-Pas-de-Calais, indiquait en mai : « Nous savons que beaucoup d’organisations syndicales s’interrogent, voire, pour d’autres, contestent l’orientation et la stratégie de la confédération » . Et, alors que les mouvements se succèdent localement, la stratégie unitaire de l’intersyndicale (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, Solidaires, Unsa, FSU), historique et exceptionnellement longue, s’est révélée inefficace.
Le gouvernement en a profité pour accélérer la mise en place de ses contre-réformes, laissant l’intersyndicale sans victoire sociale marquante. Excepté pour le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, qui pendant son université d’été a déclaré « capitaliser, mettre en œuvre ce qu’on a obtenu » à la suite des grandes manifestations de l’hiver et du printemps dernier, notamment la création d’un Fonds d’investissement social (Fiso), auquel les syndicats sont directement associés. « Lors de l’intersyndicale du mois de juillet, quand nous avons posé la question du bilan par rapport à la plate-forme du 5 janvier, nous avons conclu qu’il n’y avait rien ou quasiment rien, que ce soit sur les garanties pour les salariés en cas de licenciement, le Smic et même sur la question du fameux Fonds social pour l’emploi, dont la CFDT s’était félicitée. On voit bien que le patronat ne veut pas le financer. Sans moyen, c’est un coup d’épée dans l’eau… » , contredit Annick Coupé, porte-parole nationale de l’Union syndicale Solidaires.
La « mécanique du toujours moins pour le plus grand nombre » domine et montre que la capacité d’action collective des syndicats « a été affaiblie ou supprimée » , notent sans détour Dominique Andolfatto et Dominique Labbé [^2]. Après six journées d’action depuis le début de l’année, les huit syndicats cherchent certes le moyen de rebondir, mais le front syndical donne des signes de faiblesse. La façade unitaire est quelque peu malmenée par FO et la CFDT. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a répété que la réponse syndicale « ne peut plus être des manifestations à répétition qui ont démontré leur inefficacité. Au printemps, FO a proposé une grève carrée de 24 heures » , à laquelle s’opposent… la CGT et la CFDT.
François Chérèque a aussi botté en touche : une mobilisation nationale, « pour quoi faire ? Pour quel objectif ? Pour obtenir quoi ? » , a-t-il interrogé. Le dirigeant de la CFDT s’est borné à annoncer qu’il verrait « avec les autres organisations si c’est nécessaire d’aller plus loin » que les actions au niveau local pour défendre l’emploi. « On ne renonce pas à l’idée d’unité d’action, y compris au plan national, défend Annick Coupé. Mais si on ne s’en remet qu’à cela, on risque d’être dans la même situation qu’en mai ou juin. Et l’intersyndicale sera incapable de faire reculer le gouvernement. »
Or, le calendrier se précipite avec le débat parlementaire sur le changement de statut de La Poste prévu en octobre, contre lequel les syndicats de postiers se mobiliseront le 22 septembre. « Ce qui veut dire qu’il n’y a que quelques semaines pour se mobiliser, constate Annick Coupé. Et, avec ce qui s’est passé dans les boîtes comme New Fabris et Molex, on voit que les problèmes sont devant nous. » Les responsables de la CGT et de la CFDT ont, pour leur part, rappelé leur volonté de se mobiliser le 7 octobre, à l’appel de la Confédération syndicale internationale (CSI), pour défendre le « travail décent ». Surtout, les deux grandes centrales syndicales, à l’approche de leurs congrès respectifs (celui de la CFDT étant prévu début 2010), ont d’autres préoccupations. Comme maîtriser leur base, souvent localement regroupée en intersyndicale et engagée dans des luttes dont certaines ont connu une radicalité très médiatique.
[^2]: « Toujours moins ! Déclin du syndicalisme à la française », Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, revue le Débat, Gallimard, parution le 24 septembre.