Vivre en France la peur au ventre
dans l’hebdo N° 1069 Acheter ce numéro
Rafles, arrestations, rétentions, expulsions d’étrangers en situation irrégulière, sans oublier les multiples tracasseries administratives à l’encontre des immigrés en situation régulière et la modification incessante – allant toujours vers le durcissement – des conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France… Ce sont là quelques-unes des caractéristiques de la « douce France » de Nicolas Sarkozy, expression qui a donné son titre à l’ouvrage, dirigé par Olivier Le Cour Grandmaison, professeur de philosophie et de sciences politiques à l’université d’Évry. Ce remarquable travail collectif et pluridisciplinaire – dont nous publions les « bonnes feuilles » page suivante – dresse, à mi-parcours du quinquennat présidentiel, le bilan accablant et abject de l’actuelle politique d’immigration, qui porte la marque, selon ses auteurs, d’une véritable « xénophobie d’État ». Consternés, voire révoltés, par ce climat nauséabond, et surtout par l’assimilation constante des étrangers à une menace, en particulier pour la fameuse « identité nationale » – dont les historiens nous ont pourtant appris qu’elle s’est surtout construite sur les différentes vagues d’immigration successives –, les chercheurs réunis pour ce volume (juristes, philosophes, historiens, sociologues, etc.) ont souhaité associer à leurs analyses circonstanciées une série de témoignages de ces étrangers qui vivent en France en 2009 avec la peur au ventre. Celle-ci est en effet la conséquence de ce qu’il faut bien appeler un « état d’exception » à leur encontre, puisque leurs droits et libertés fondamentales en sont directement et gravement affectés.
Fournis par le Réseau Éducation sans frontières, qui a participé à la publication de ce livre, ces textes, aussi brefs que glaçants, en plus des analyses des chercheurs, nous font ainsi mieux connaître les effets concrets d’une politique dont n’ont parfois pas conscience bon nombre de Français dits « de souche », qui passent par exemple sans même les voir devant les multiples barrages de police chargés des contrôles d’identité (au faciès) puisque ceux-ci ne s’adressent jamais à eux. On découvre ainsi les multiples stratégies des sans-papiers pour tenter d’échapper à la traque permanente dont ils sont la cible : ne pas sortir le soir, éviter les grandes stations de RER ainsi que certains quartiers où ils savent que la police pratique fréquemment des rafles.
L’ouvrage montre surtout combien cette politique de la peur et de la suspicion généralisée s’étend aujourd’hui aux étrangers en situation régulière (qu’un changement de situation personnelle peut soudain transformer en « clandestins »), à leurs proches (dans le cas de couples mixtes), voire à leurs amis (considérés comme « coupables » de les avoir aidés). En rappelant l’origine de vieilles techniques répressives remises au goût du jour pour mieux atteindre les fameux objectifs chiffrés fixés par le gouvernement, les auteurs esquissent, au fil des pages, les contours d’une France qui fait froid dans le dos. Celle où nous vivons en ce moment.