Après le drame, la diffamation ?
Le père du jeune Palestinien tué devant les caméras de France 2 en 2000 a porté plainte contre un journaliste de France 3 appuyant la thèse d’une « mise en scène ».
dans l’hebdo N° 1074 Acheter ce numéro
Un Palestinien de Gaza qui porte plainte en diffamation contre un rédacteur en chef adjoint de France 3, lequel participe sous pseudonyme à une campagne contre un confrère de France 2, l’affaire n’est pas banale. Elle est pourtant bien réelle.
Il s’agit en fait du nième rebondissement de l’affaire Al-Dura, du nom de cet enfant tué très probablement par des tirs israéliens à Netzarim, dans la bande de Gaza, en 2000, au début de la deuxième Intifada. On se souvient de ces images de France 2 montrant le gamin blotti contre un mur derrière son père. Le petit Mohamed avait fini par être touché mortellement, alors que son père était grièvement blessé. On se souvient aussi de la machination montée par une partie de l’extrême droite sioniste en France, affirmant que ce reportage relevait en fait d’une mise en scène. Les pires horreurs ont alors été écrites impunément sur le sujet : l’enfant ne serait pas mort, et son père n’aurait jamais été blessé. Depuis lors, des centaines d’enfants palestiniens ont été tués par l’armée israélienne, dont au moins trois cents en décembre et janvier derniers à Gaza, sans que les mêmes milieux ultra-sionistes s’en émeuvent. Mais, dans ce cas, la machination poursuivait un double objectif : brouiller l’impact des images qui avaient parcouru le monde entier ; et peut-être plus encore discréditer le correspondant de France 2 à Jérusalem, Charles Enderlin, dont l’honnêteté et le professionnalisme dérangent.
Au mois de septembre 2008, l’hebdomadaire Actualité Juive (n° 1038, daté du 4 septembre) a tenté de relancer l’affaire en publiant une interview d’un médecin israélien, Yehouda David, selon lequel les blessures et cicatrices de Jamal Al-Dura, père de Mohamed, ne résulteraient pas de la fusillade de 2000 mais d’une intervention chirurgicale effectuée par lui-même en 1994. Cette interview était réalisée par un certain Daniel Vavinsky. Charles Enderlin a aussitôt adressé un droit de réponse à Actualité Juive en joignant l’ensemble des pièces médicales réfutant les allégations de ce médecin. L’hebdomadaire a publié le courrier d’Enderlin mais en « oubliant » ces pièces médicales et en supprimant la phrase qui en faisait mention. [« Ci-joint le rapport […] que vous voudrez bien reproduire » ]. Ce qui a permis à Vavinsky de conclure sa contre-réponse à Enderlin par ces mots d’un absolu cynisme : « Sur le fond, Charles Enderlin ne répond en rien […] Qu’il n’hésite pas à nous transmettre tout élément […] Nous nous ferons un devoir d’en informer nos lecteurs ». [[Pour preuve que les pièces médicales étaient jointes dans le démenti adressé par Charles Enderlin à Actualité Juive, elles figurent sur le site de l’Union des patrons et des professionnels juifs de France (UPJF) : .
Charles Enderlin avait adressé le même texte et les mêmes pièces à *Actualité Juive et à l’UPJF. Le site de l’UPJF, site communautaire pourtant réputé radical, a fait preuve en l’occurrence d’honnêteté. ]]*
Fin 2008, Jamal Al-Dura a déposé auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance (TGI) de Paris une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation, par l’entremise de son avocate, Me Orly Rezlan. La commission rogatoire diligentée au premier semestre 2009 a permis d’identifier l’auteur de l’interview et de la contre-réponse, signées Daniel Vavinsky : il s’agit en réalité de Clément Weill-Raynal, rédacteur en chef adjoint à France 3 et militant « ultra », proche de la direction actuelle du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). Il se présente lui-même comme « ancien conseiller du Crif sous la présidence de Roger Cukierman entre 2000 et 2007 pour toutes les questions touchant à l’antisémitisme et à la désinformation ».
Serge Benattar, directeur de la publication d’Actualité Juive, et Clément Weill-Raynal ont été mis en examen pour diffamation par Nicolas Blot, juge d’instruction au TGI de Paris. Quant à la direction de France Télévision, la voilà de nouveau aux prises avec cette sale affaire. Mais avec la preuve, cette fois, que l’un de ses journalistes agissant sous pseudonyme tente de discréditer un confrère qui se trouve être aussi un collègue appartenant à la même société.