« Des prisons inhumaines et inutiles »

Rares bénévoles admis dans l’univers carcéral, les visiteurs de prison disent leur inquiétude face à la nouvelle loi pénitentiaire. Selon eux, elle ne changera rien aux conditions d’existence des détenus.

Margaux Girard  • 1 octobre 2009 abonnés
« Des prisons inhumaines et inutiles »

«Avant mes premiers rendez-vous avec les détenus, j’ai demandé à voir le règlement intérieur de la prison. On m’a donné un document de deux pages, où il y avait trois ou ­quatre règles inscrites. J’ai vite compris que ce n’étaient pas des textes mais des habitudes qui encadraient le quotidien », raconte Hubert Castel, visiteur à la maison d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise). Confidents des détenus, témoins privilégiés de leur quotidien, les visiteurs de prison font partie des rares bénévoles à disposer d’éléments pour témoigner. Chaque semaine, près de 1 200 citoyens s’entretiennent avec les prisonniers. « On vient voir l’individu, pas le détenu » , précise Hubert Castel. « Avec nous, il n’y a pas d’enjeu, on ne rend de comptes à personne. Ce n’est pas comme avec les conseillers d’insertion et de probation (CIP), les avocats, les psychologues ou les surveillants, avec qui nos interlocuteurs doivent faire attention à ce qu’ils disent » , explique Michel Jouannot, visiteur à la maison d’arrêt de Fresnes et vice-président de l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP). « Ils nous parlent de tout et de rien, de leurs codétenus avec qui ils viennent de s’engueuler, de leur femme qui ne veut plus leur amener les enfants, d’un livre qu’ils ont lu, de leur jugement… »
« Ce dont ils se plaignent le plus, c’est la lenteur de l’administration » , affirment les visiteurs. «  Un détenu que je rencontre attend depuis quatre mois un rendez-vous avec sa CIP », déplore Hubert Castel. Même problème pour les visites médicales, les parloirs, la bibliothèque, les activités sportives ou artistiques, le travail… Les listes d’attente sont interminables. Faute de réponse, ils se découragent et laissent l’inactivité s’installer.

Dans les cellules, la promiscuité est devenue une norme. « Il y a une règle européenne qui impose que, dans les chenils, chaque chien dispose de 2,50 m2. Dans les prisons, il y a très souvent trois hommes dans 9 m2… », rappelle Michel Jouannot. Loin du principe de l’encellulement individuel.
Conséquence directe de cette surpopulation, l’insalubrité s’inscrit, elle aussi, dans le quotidien.
« Les sanitaires, placés dans ces 9 m2, sont souvent dégradés. Il n’y a pas de porte, pas d’isolement, c’est très humiliant » , s’indigne Anne-Françoise Lorthiois, visiteuse à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy. Quant aux repas servis par l’administration, ils sont considérés comme « immangeables, « dégueulasses » , par les détenus. Beaucoup choisissent de cantiner : une liste indique les produits qu’ils peuvent acheter, « mais les prix sont bien plus élevés qu’à l’extérieur, c’est un scandale qu’ils dénoncent régulièrement. La cuisine dans les cellules, c’est souvent le système D, des fours fabriqués avec des boîtes de conserve… Ce sont des conditions préhistoriques » , poursuit Anne-Françoise Lorthiois. En prison, le moindre confort a un coût : la télévision est louée 30 euros par mois.
Selon Michel Jouannot, un tiers des détenus vivent sans aucune ressource. L’idée d’un salaire attire donc beaucoup d’entre eux. Mais, là encore, les postes sont rares et longs à obtenir. Et en matière de rémunération, aucune règle n’est imposée aux entreprises qui s’implantent dans les prisons, le code du travail ne s’appliquant pas. « Un de mes détenus travaille toute la semaine, il est payé 350 euros par mois » , témoigne Hubert Castel. « C’est délicat, car si on fixe des revenus “convenables” pour les détenus, les entreprises partiront » , ajoute-t-il, pragmatique.

« L’urgence, c’est la réinsertion » , estiment ces bénévoles. Travail, formation, activité culturelle ou sportive, groupe de discussion, suivi psychologique, élaboration de projets… Autant d’aspects qui doivent être développés. « Les prisons sont inhumaines mais aussi inutiles. Les gens sont pires quand ils en sortent que quand ils y entrent » , considère Michel Jouannot. « On n’y apprend rien, psychologiquement ou pédagogiquement, renchérit Hubert Castel.  Si un type est enfermé parce qu’il a frappé sa femme, personne en ­prison ne le fera réfléchir sur son acte. » Pour lui, « en préparant davantage les détenus à la sortie, on limite la récidive, on désengorge les établissements. S’il y a de l’argent à mettre, il faut arrêter de construire de nouvelles prisons et tout miser sur la réinsertion » . Et comprendre en même temps que l’incarcération doit être le dernier recours, non la norme. D’où l’importance des peines alternatives, des travaux d’intérêt général au bracelet électronique.
In fine, comme nombre d’acteurs du secteur, les visiteurs de prisons n’attendaient pas grand-chose de la nouvelle loi pénitentiaire, sachant que certains textes en vigueur ne sont déjà pas appliqués sur le terrain. « C’est triste à dire, mais le monde associatif va devoir continuer à suppléer l’État sur la question de la réinsertion et du dialogue » , conclut Hubert Castel. Plus que jamais.

Société
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