Des rapports sans rapport avec la réalité
Pour se donner bonne conscience, les entreprises commandent des audits d’évaluation de la souffrance au travail. Des outils coûteux et dépourvus de la moindre efficacité.
dans l’hebdo N° 1071 Acheter ce numéro
«Si vous voulez enterrer un sujet, créez une commission », disait Clemenceau. Les directions d’entreprise l’ont bien compris. Après chaque « vague » de suicides, elles font immanquablement réaliser un audit pour prendre le pouls en interne. Et, surtout, calmer les esprits. « Ces rapports ne font que produire des statistiques qui éloignent des situations vécues », estime Philippe Davezies, chercheur en santé au travail.
Il importe donc peu que, pendant des années, France Télécom ait superbement ignoré les cris d’alarme lancés par les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et l’Observatoire du stress et des mobilités forcées. La semaine dernière, la direction et les syndicats commandaient leur audit au cabinet Technologia. Le même qui, en 2008, avait analysé les causes des suicides survenus chez Renault. Et concluait que des « actions destinées à agir sur l’organisation du travail [paraissaient] indispensables ». Sans grandes conséquences…
La Poste ou IBM ont eu (encore) moins de chances avec le cabinet Stimulus. Cet organisme dont le chiffre d’affaires est estimé à 2,8 millions d’euros est dirigé par Patrick Légeron, un comportementaliste partisan du « bon » stress et des méthodes de coaching, également coauteur d’un rapport sur le stress au travail remis l’année dernière au gouvernement. En 2008, il en aura coûté 40 000 euros à IBM pour prendre connaissance des conclusions de Stimulus dans son rapport ! Où l’on précise que « chaque personne exposée doit apprendre à gérer [certains facteurs de stress] efficacement » ou qu’« il est important d’insister sur les signes de reconnaissance directs : le “bonjour”, les remerciements pour le travail accompli et pour les efforts fournis ».
Les salariés d’IBM auront apprécié… La direction, plus encore.