La nuit palestinienne

Dans « l’Affiche », le Québecois Philippe Ducros met en scène l’affrontement de colons et de colonisés.

Gilles Costaz  • 29 octobre 2009 abonné·es

Avec l’aide de l’association française Écritures vagabondes et du Panta Théâtre de Caen, l’écrivain québécois Philippe Ducros est allé en Israël et dans les territoires palestiniens afin d’écrire une pièce sur la tragédie qui s’y déroule. L’Affiche est aujourd’hui montée par ce Panta Théâtre, qui la représente à Paris – au Tarmac – et en tournée. Pour Ducros, on ne peut parler de « conflit israélo-palestinien » mais de l’occupation de la Palestine par Israël, comme il l’explique à Bernard Magnier dans le Journal du Tarmac. Pour donner à sa vision et à son témoignage une forme théâtrale, il est parti de cette pathétique réplique des Palestiniens qu’est l’affiche (le placardage des portraits de tout compatriote tué) et a imaginé l’affrontement de divers personnages, arabes et juifs, dans un lieu qui pourrait être l’imprimerie où se dupliquent ces cris muets.

Mais ce lieu scénique est changeant et incertain. C’est aussi un camp de réfugiés, la salle des négociations, un appartement familial, une prison, un hôpital, où, dans la tourmente, se croisent, se côtoient, se parlent ou s’invectivent les victimes d’une guerre qui s’interrompt pour toujours ­renaître. Au cœur de la pièce brûle l’histoire de l’imprimeur Salem, qui doit un jour reproduire le portrait de son propre fils tué par balle.

« On suit les destins de chaque côté de la balle » , dit l’auteur. Les Palestiniens n’ont que l’amour de leurs proches et les mots de la malédiction pour réagir, mais l’un d’eux a accepté de travailler à l’édification du mur, croyant donner du bonheur avec l’argent gagné à aggraver le malheur de son peuple. Le soldat israélien qui a tué le jeune homme s’accroche à une argumentation militariste qui se craquelle jusque dans sa propre tête.
Il n’y aura pas de fin à la pièce, comme il n’y a pas d’issue visible dans le tournoiement de plus en plus désespéré des scènes. La mise en scène de Guy Delamotte semble renoncer au ­théâtre tel qu’on l’entend habituellement pour composer un tableau clair-obscur qui aurait plus à voir avec certains Goya sur l’occupation de l’Espagne par les Français de Napoléon qu’avec l’art du spectacle esthétique à la mode. Portée par des comédiens jouant au plus fort de l’intensité, tels Michel Quidu, Timo Torikka, Véronique Dahuron, la soirée déchire les voiles du mensonge et les bonnes consciences.

Culture
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