Le bilan « contrasté » des agrocarburants

L’Ademe publie une étude sur les avantages et les inconvénients du recours aux combustibles d’origine végétale, sans tenir compte des conséquences sur le climat de ces cultures énergétiques.

Claude-Marie Vadrot  • 29 octobre 2009 abonné·es
Le bilan « contrasté » des agrocarburants

Au début du mois d’octobre, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a publié une étude tentant de faire le point sur les avantages et inconvénients du recours aux agrocarburants, qu’elle s’obstine à nommer « biocarburants », ce qui contribue à entretenir l’ambiguïté sur cette filière dans l’esprit du public, tétanisé par les modifications climatiques et la perspective du manque de carburants fossiles. Cette étude, réalisée par Bio intelligence service, organisme qui travaille notamment pour Danone, le Club Med, Renault, la Gogema, Areva, le CEA, Carrefour, le Groupe Casino, Coca-Cola ou EDF, n’est en fait qu’une habile compilation de ce qui a déjà été publié sur le sujet au cours des dernières années. Autrement dit, elle n’apporte pas grand-chose de nouveau et, comme il est possible de le lire dans l’étude, elle présente des résultats « contrastés ». C’est le moins que l’on puisse dire.
Ce travail fait notamment apparaître que les gains escomptés en matière de bilan d’émission de gaz à effet de serre, compte tenu des énergies fossiles utilisées pour la production d’éthanol, dépassent rarement, pour la plupart des végétaux utilisés, un gain net de 20 % d’économie. Ce qui rend ces cultures à peine éligibles aux exigences pourtant modestes de la directive européenne sur les énergies renouvelables. Constatation particulièrement évidente pour l’usage de la betterave, du blé et du maïs. Quant au rendement « gaz à effet de serre » de l’huile de palme, du tournesol ou du soja, il n’atteint pas 50 %. Ce qui situe ces productions en dessous du seuil qui sera exigé par la prochaine directive. Seul l’éthanol provenant de la canne à sucre, aux environs de 90 %, échappe à ce reproche.

Mais les chiffres bruts recensés ne prennent pas en compte les conséquences des changements opérés ou à opérer dans l’affectation des terres cultivables : couper une forêt ou supprimer une prairie qui absorbe du gaz carbonique pour y installer une culture change le « rendement » en gaz à effet de serre d’un territoire. Dans un rapport publié au cours du Congrès forestier mondial qui vient de se tenir en Argentine, le WWF a rappelé que, chaque année, 130 000 km2 de forêts disparaissent dans le monde : quasiment le quart de la superficie de la France. Ce qui équivaut, toujours d’après le WWF, à 20 % des émissions de gaz à effet de serre. L’Ademe, coincée par la politique gouvernementale et la pression des milieux agricoles, a délibérément fait l’impasse sur cet aspect de la production agricole énergétique en se limitant à la France et à l’Europe.

Tout comme elle écarte les conséquences du passage de l’agriculture destinée à nourrir les hommes à l’agriculture destinée à remplir le réservoir des voitures. Or, comme le souligne un travail scientifique publié il y a quelques jours par la revue américaine Science, aucun pays, faute de législation adaptée, n’a comptabilisé les conséquences climatiques du changement d’affectation des terres, ni évalué l’effet d’un recours massif aux engrais. Après avoir modélisé le défrichage des forêts au profit des cultures énergétiques, le responsable de l’étude menée par le Marine Biological Laboratory, Jerry Melillo, écrit : « Sans changement dans cette comptabilité, l’utilisation des agrocarburants aggravera notre problème de gaz à effet de serre plutôt qu’il ne nous aidera à le résoudre. »
L’étude de l’Ademe laisse également de côté la discussion sur la question des agrocarburants de seconde génération. Lesquelles utiliseraient notamment les résidus de cultures qui contribuent au maintien de l’humus.

Dans les pays du Sud, le recours à des arbres comme le Jatropha, le Miscanthus (herbe à éléphant) ou le peuplier à croissance rapide pour l’Europe ne seraient que des palliatifs ; et ces cultures laissent toutes entrevoir des essais transgéniques et une utilisation massive d’engrais et de pesticides. Les deux processus de production, thermochimique et biochimique, impliquent aussi un recours important aux combustibles fossiles. De plus, comme toutes les études menées sur les agrocarburants, les appréciations inconvénients-avantages reposent en France, pour la plupart, sur les recherches menées par Arvalis, l’Institut du végétal, financé par les producteurs de maïs, de pommes de terre, d’oléoprotéagineux, de céréales, de betteraves. Les « brigands » de l’agriculture industrielle et de l’agriculture « raisonnée », apôtres des cultures OGM, qui exercent des pressions sur le gouvernement français et sur la Commission européenne pour rentabiliser les grandes surfaces de cultures.

Conclusion apparaissant à la lecture de l’étude de l’Ademe : finalement, on sait qu’on ne sait pas grand-chose sur les inconvénients de l’exploitation des végétaux pour remplacer les combustibles fossiles, puisque les agro-industriels ne s’intéressent qu’aux avantages immédiats de ces cultures. Lesquelles constitueront l’un des enjeux de la conférence de Copenhague, où les grands groupes agricoles ne manqueront pas de proposer toutes leurs fausses bonnes solutions.

Écologie
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