Le climat dans la tourmente
dans l’hebdo N° 1072 Acheter ce numéro
La négociation climatique en vue de Copenhague patine, voire recule. À moins de se ranger à une écologie qui serait affaire d’experts (et d’intérêts économiques), il est essentiel de saisir ce qui est en jeu, pour que les changements écologiques imposés par la nécessité et la contrainte puissent devenir les supports d’un changement souhaitable, guidé par des choix collectifs de justice et de solidarité.
À Copenhague, en décembre 2009, sera négociée la deuxième phase du protocole de Kyoto, dans le cadre de la convention des Nations unies sur le climat. Dans sa première phase, 2005-2012, seuls les pays industrialisés (pays de l’annexe 1) sont soumis à des objectifs contraignants de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), même s’ils sont très faibles et insuffisants. La deuxième étape engage cette fois les pays du Sud dans une « responsabilité partagée mais différenciée » , selon les termes de l’ONU. Voilà pourquoi, à Copenhague, ce sont aussi les rapports Nord-Sud qui se jouent. La reconnaissance de la responsabilité historique des pays riches dans le dérèglement climatique, et plus globalement la dette écologique des pays du Nord, est la condition première d’un accord international juste et capable d’atteindre les objectifs de réduction des GES. Cette dette résume ce qu’a été un modèle de développement inégal et destructeur, fondé sur la spoliation des ressources naturelles, sur la dégradation environnementale, sur l’accumulation des déchets et l’accumulation de GES dans l’atmosphère, sur le déni de l’autonomie et de la souveraineté des peuples et de leur droit à disposer librement de leurs ressources, conformément au protocole international sur les droits économiques sociaux et culturels de 1966.
Le protocole de Kyoto, malgré toutes ses insuffisances, est fondé sur la reconnaissance de responsabilités différenciées. Les États-Unis, qui n’en sont pas signataires, plaident pour son remplacement par un traité qui fixerait des objectifs globaux, indifférenciés, et recenserait des engagements nationaux d’autre part. Ils sont appuyés en cela par l’Australie et le Canada, et de fait soutenus également par l’Union européenne. Il s’agirait ainsi de faire de Copenhague le premier pas d’un long processus, qui pourrait être analogue à celui de la non-prolifération des armes nucléaires ou encore des traités globaux de libre-échange. Les réductions des émissions de GES seraient décidées de manière essentiellement unilatérale, et le cadre normatif international ne serait plus qu’un cadre de coordination. Les pays du Sud s’opposent à cette tentative de vider le protocole de ses aspects les plus contraignants et demandent une architecture légale internationale forte pour assurer la répartition juste des efforts pour réduire les émissions de GES. Même si le protocole est finalement conservé, la tendance à la déconstruction d’une véritable régulation internationale, sous l’égide de l’ONU, est bien manifeste.
En revanche, les mécanismes de flexibilité prévus par le protocole de Kyoto, qui ont échoué à faire diminuer les émissions de GES et qui ont permis la mise en place de marchés du carbone, seraient au contraire étendus, avec la création d’un marché de quotas de carbone aux États-Unis et en Australie, et avec l’extension des mécanismes de développement propre [^2]
La finance carbone ne s’y trompe pas, et les financiers sont dans les starting-blocks. Ainsi, la banque JP Morgan, par sa filiale Carbon Acquisition Company, a fait une offre de rachat du spécialiste irlandais des crédits carbone EcoSecuritie, fondé en 1997 et un des leaders mondiaux du marché du carbone. Des financiers de Wall Street viennent de créer la première banque américaine d’investissement spécialisée dans les technologies vertes, Greentech Capital Advisors, avec des noms que la crise financière a rangés au top 50 de la finance pourrie : l’équipe comprend d’anciens cadres dirigeants d’UBS, Goldman Sachs, Citi et Morgan Stanley.
Dérégulation politique et régulation marchande, c’est au tour du climat de faire les frais du dogme néolibéral.
V
[^2]: voir le hors-série de Politis sur le Climat et la brochure d’Attac « Pour une justice climatique, libérons le climat des marchés financiers ».